UN GRAND SEIGNEUR
AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
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^^f^o,
OCTAVE TEISSIER
UN GRAND
SEIGNEUR
AU XVIII^ SIECLE
LE COMTE DE VALBELLE
PARIS
LIBR.^IIR.IE H:A.GH:ETTE Sz. C'e
79. Boulevard Saint-Germain, 79
1890
LfO»^^'
SCSÇjéfejrSfetEIST
\11D
Les plus fastueux financiers qui remuent
des millions et les dépensent sans compter ,
les gentilshommes eux-mêmes disposant
d'une fortune considérable ne sauraient
nous donner une idée exacte des grands
seigneurs de V ancien régime , qui vivaient
princièrement dans des châteaux somp-
tueux , dont ils faisaient les honneurs avec
une grâce séduisante.
Aujourd'hui y il est vrai , les exigences
de la vie politique , qui retiennent à Paris
les représentants des grandes familles j leur
font abandonner ces belles résidences, dont
les abords sont d'ailleurs dépoétisés par le
voisinage des usines ou des chemins de fer ;
VI
ils mènent encore un magnifique train de
maison, et font un excellent usage de leur
fortune; mais ce ne sont plus ces anciens
seigneurs, dont on parle volontiers dans les
veillées de nos campagnes , moins pour les
maudire, quoi qu'on en dise, que pour rap-
peler leur affabilité et leurs « belles ma-
nières ».
Le comte Joseph-Alphonse-Omer de
Valbelle fut un de ces grands seigneurs. Il
avait fait de son château , situé à Tourves,
près de Brig noies et non loin de la ville
d'AiXy un séjour enchanteur. Les plus célè-
bres artistes du XVIIP siècle avaient
concouru y par leurs œuvres, à embellir
cette splendide résidence ; des statues gra-
cieuses, finement exécutées, étaient répan-
dues clans le parc et les jardins ; partout ,
dans les appartements , on admirait des
toiles que l'on couvrirait d'or aujourd'hui.
VII
U ameublement était du meilleur goût: ten-
tures des GobelinSj tapis de Turquie^ glaces
encadrées dans des trumeaux éblouissants,
cheminées en beau marbre sculpté y meubles
en marqueterie , lits de parade d'un prix
inestimable y le tout rehaussé par les toi-
lettes , les parures des nombreux invités
qui ne cessaient de se renouveler. Une belle
salle de spectacle de douze mètres de fa-
çade ^ sur vingt-cinq mètres de profon-
deur, ajoutait aux agréments de ces réu-
nions devenues célèbres et que Mirabeau
comparait à une Cour d'amour.
Le Comte de Valbelle mourut en chrétien,
après avoir rédigé , en termes choisis , ses
dernières volontés, qui témoignent de l'élé-
vation de ses sentiments^, de sa générosité et
de sa bonté : accompagnant chaque legs de
quelques mots affectueux qui en doublaient
le prix.
VIII
Les détails biographiques que nous avons
recueillis sur cet aimable grand seigneur ,
et que nous publions, sont loin, assurément,
de justifier la légende trop accréditée qui le
représente comme un libeHin sans retenue.
C'était y au contraire , un gentilhomme
d'une haute distinction y rempli de respect
pour le nom qu'il portait, et qui a pu se
laisser entraîner , pendant sa jeunesse ,
par le courant des plaisirs élégants , sans
jamais oublier qu'il représentait une des
familles les plus respectables de son pays.
I
LA LÉGENDE,
Maréchal des camps et armées du roi , marquis de
Tourves, de Rians et de Montfuron, comte de Sainte-
Tulle et de Ribiers , vicomte de Cadenet, baron de
Meyrargues , seigneur de vingt terres féodales , dis-
posant d'une fortune immense , très distingué de sa
personne , adoré des plus charmantes provençales ,
le comte Joseph-Alphonse-Omer de Valbelle avait
créé , dans son château de Tourves , une nouvelle
Cour d'amour j dont le rayonnement rempli de jeu-
nesse, d'esprit et de beauté , jetait un éclat merveil-
leux dans toute la Provence.
Songeant un jour à la mort^ qui, pourtant était loin
de lui , Valbelle eut l'idée folle de s'ensevelir vivant
dans un magnifique mausolée, autour duquel seraient
rangées, dans une attitude désolée, quelques unes
— 2 —
des dames qui composaient cette aimable cour d'a-
mour.
Aucune provençale ne voulant se prêter à cette
lugubre fantaisie^ Valbelle fit exécuter par un célèbre
sculpteur, par Houdon , quatre statues en marbre^
représentant M^^® Clairon , de la Comédie française ,
M'^« Gaymard , danseuse de l'Opéra , et deux autres
artistes d'une resplendissante beauté qui , toutes , lui
avaient prodigué les preuves d'une tendresse pas-
sionnée.
Appelées , tour à tour , chez Houdon , qui avait ,
disait-il , reçu la mission de faire des statues pour
les jardins du château de Tourves , les quatre ar-
tistes avaient posé complaisamment,, sans se douter
du rôle qui leur était réservé dans le spectacle ima-
giné par le comte de Valbelle. Quand le mausolée
qu'elles devaient encadrer fut terminé, Valbelle les
invita à passer quelques semaines dans ses terres de
Provence, où les attendaient les fêtes les plus variées.
En effet, pendant les quinze premiers jours , les
échos de Tourves ne cessèrent de se renvoyer les
chants et les cris jetés par une troupe de jeunes fem-
mes , répandues dans le parc , ou dans les jardins
— 3 —
odorants qu'un soleil radieux colorait de ses joyeux
reflets.
Par une belle journée de printemps, Valbelle con-
duisit ses invités dans le bois de Montrieux, où s'éle-
vait , sous de frais ombrages _, un monastère de Char-
treux. Le coQite avait fait dresser , dans la chapelle
de cette sainte retraite , le monument funéraire qui
devait recevoir ses restes mortels; et, sous le prétexte
de voir l'effet des belles statues dues au ciseau de
Houdon , il avait fait tendre de noir tous les murs de
la chapelle.
Pendant que les jeunes femmes, toujours les pre-
mières dans ces excursions poétiques , pénétraient
dans le lieu saint, Valbelle se couchait silencieuse-
ment au fond du tombeau en marbre blanc , qui
n'avait pour ornements que les quatre statues repré-
sentant ses bien aimées.
Quelle ne fut pas l'épouvante des jeunes et rieuses
artistes , quand elles se reconnurent dans les pleu-
reuses qui entouraient leur hôte , étendu et comme
sans vie dans un cercueil !
Après un moment de stupeur, il n'y eut qu'un cri ,
et toute la troupe mondaine s'enfuit, en accablant le
- 4 —
pauvre comte des éclats d'une colère indignée. Clai-
ron ne voulut plus le revoir , elle partit sur l'heure.
Les autres, moins violentes, se concertèrent avec les
gentilhommes, pour faire comprendre à iM. de Val-
belle combien cette plaisanterie était de mauvais
goût. Mais, hélas ! quand on revint auprès du mau-
solée on vit le comte aussi blanc que le marbre qui
l'enveloppait; il avait cessé de vivre...
Telle est la légende qui a cours à Tourves, à Bri-
gnoles et dans tout le Var.
Mais l'histoire vraie ne ressemble en rien à ce
mélodrame , bien digne delà plume d'un imitateur
d'Anne Radcliffe; les détails biographiques que nous
allons mettre sous les yeux du lecteur et qui sont
puisés aux sources les plus authentiques^ révèlent,
au contraire , un comte de Valbclle , aimable , spiri-
tuel, généreux, entouré d'une considération unanime,
qu'il méritait par la noblesse de ses sentiments et la
correction de sa conduite.
LE CHATEAU DE TOURVES.
Après avoir quitté la station de Tourves, le voya-
geur qui se dirige vers Brignoles, aperçoit à droite,
sur une colline allongée, les ruines d'un château,
dont il ne reste qu'une très belle colonnade.
Ce château eut ses jours de splendeur. Inféodé par
la reine Jeanne à Jean de Baux, possédé ensuite par
les d'Arcussia et les Vintimille , il devint la propriété
des Valbelle, qui l'agrandirent considérablement. Ses
constructions occupaient, vers la fin du XVIII^ siècle,
plus de cinq mille mètres de terrain.
La principale façade du château visait la route
aboutissant à Rougiers. Un perron, aux vastes pro-
portions, donnait accès aux appartements. — Du côté
de Brignoles , un portique formé de dix colonnes
doriques accouplées , en pierre froide^ soutenait un
superbe balcon. A l'extrémité d'une terrasse qui s'é-
tendait devant cette colonnade, se dressait un obélis-
— 6 —
que de vingt-quatre mètres de hauteur , sur lequel
on peut encore lire ces deux vers :
Conserve ma devise , elle est chère à mon cœur ;
Les mots en sont sacrés : c'est l'amour et l'honneur.
Un peu plus loin , le dernier comte de Valbelle
avait établi une vacherie, et y avait adossé un ciho-
rium (1) gothique, provenant de Tancienne paroisse
de Tourves. L'inscription qu'il y fit graver a été sou-
vent reproduite^ elle n'offre rien de remarquable ,
elle est même assez fade, maison^ retrouve cet
esprit philosophique dont la Noblesse aimait à se
parer aux approches de la Révolution :
A grandeur, trop souvent succède ignominie ;
De temple que j'étais , église je devins ;
J'en conçus trop.d'orgueil. on m'a fait écurie ,
Passant, qui vois l'affront dont ma gloire est suitie ,
Apprends, sans murmurer, à céder aux deslins.
Un beau parc , des allées ombreuses , des statues
(1) « On appelle Ciborium , dit M. Millin, un petit édiûcc en forme de
tour et détaché du maître-autel , dans lequel on gardait le Saint-Sacrc-
mcnt >. [Voyage dans les dcpartcments du midi dr la l'ranci'. Tome III,
p. 131).
— 7 —
Cdchées dans les massifs de verdure, donnaient à
cette résidence princière un aspect grandiose et sé-
duisant y dont il ne reste aujourd'hui qu'un souvenir
attristé. Un touriste, visitant naguère les ruines du
château , fut vivement impressionné par les beautés
du site: « Ce qu'il y a de plus remarquable, écri-
vait-il, c'est le parc , un parc très grand , clôturé de
murs et couvert d'arbres. Je l'ai visité par un beau
jour de printemps. Les rossignols chantaient à tue-
tête. La verdure avait poussé à toutes les branches,
elle arrêtait les rayons du soleil. Même solitude dans
les bois que dans les ruines. Des lézards affolés sur
mon passage, des battements d'ailes aux cimes des
arbres; l'immobilité des feuilles ; une majesté vaste
et triste , et des arbres, des arbres à perte de vue.
Voilà le parc. Il est traversé d'un large chemin et
renferme une allée de vieux buis , formant un long
berceau et admiré de tous les visiteurs » (1).
Mais supposons un instant que ce beau château est
encore debout ; rappelons la vie partout ; laissons
pénétrer par les fenêtres entr'ouvertes un soleil ra-
(•2) Le Courrier du Var. Brignoles, imp. Vian, 3 mai 1882.
— 8 —
dieux ; mettons, dans le parc, des couples élégants,
et, sur la route, des carrosses , des chaises de poste
remplies de joyeux invités , nous aurons une idée
exacte de ce qu'était le château de Tourves, quand
M"^^ la marquise de Valbelle l'habitait avec son fils:
le très haut et très puissant seigneur Joseph-Al-
phonse-Omer de Valbelle , comte d'Oraison , des
vicomtes de Marseille , marquis de Tourves , Rians,
Montfuron et Bressiure, baron de Saint-Symphorien
et de Meyrargues , comte de Valbelle et de Sainte-
Tulle , vicomte de C4adenet , seigneur de Cadarache,
Rougiers, Venel, Peyrolles, Mousteyret, Levens, Le
Revest^ Gucuron et autres lieux, Tun des quatre pre-
miers barons du Dauphiné, lieutenant de roi en Pro-
vence, au département d'Arles , maréchal de camp
des armées du roi (1).
Pénétrons dans le château à la suite des invités :
Au rez-de-chaussée, une grande salle, dite des Pas
Perdus; à droite et à gauche la chan'^.ellerie et la
(1) Proruration reçue, le 12 novcmlire 1771 , \*at M. d'Aslros, notaire à
Tourves, ayant pour objet la loention au marquis de Monteynard de l'hôtel
du comte de Valbelle, s-itué li Paris , rue du Bac, n" 31.
— 9 —
chambre des archives ; au fond , un magnifique es-
calier en marbre , orné de statues.
Au premier étage, une ^alle d'attente ou anticham-
bre meublée avec luxe : Tapisserie à grands person-
nages , cheminée en marbre , chenets en bronze doré
surmontés de charmantes statuettes , grande table
peinte en gris, dessus de marbre; riche cabaret et
tasses en porcelaine. Sur une autre table , couverte
en draps vert, un tric-trac d'ébène, garni en ivoire, et
un damier en ébène; 21 fauteuils peints en gris,
garnis de velours ciselé rouge et jaune; un lustre en
cuivre doré, un tableau sur la cheminée et trois mé-
daillons sur les portes.
Toute la société se réunit dans le salon de compa-
gnie. La pièce est très belle, elle doit avoirdix mètres
sur sept, si on en juge par les dimensions du moel-
leux tapis de laine, à plusieurs couleurs, qui recouvre
le parquet, et qui n'a pas moins de 36 pans sur 24.
L'ameublement est riche et de bon goût : Tapisserie
des Gobelins à grands personnages; deux canapés et
vingt-cinq fauteuils également en tapisserie des Go-
belins, représentant diverses fables; trois autres
fauteuils garnis en velours blanc et vert. Six rideaux
— 10 —
en taffetas vert et blanc. Entre les fenêtres deux com-
modes en bois d'acajou marqueté, à trois tiroirs ,
pieds de biche, garniture en cuivre doré , dessus de
marbre de couleur et le bord blanc. Sur la cheminée,
la statue équestre de Louis XIV, en bronze, montée
sur un piédestal en marbre et deux urnes en porce-
laine de Chine , aux extrémités dorées, de trois pans
de hauteur (1); une belle glace de quatre mètres; à
droite et à gauche de la cheminée, des girandoles en
cuivre doré, à trois branches. Un feu magnifique,
composé de deux chenets en cuivre doré, chacun
d'eux surmonté d'une urne à tête de mouton ; quatre
pincettes et deux pelles avec leurs pommes dorées;
un écran garni en étoffe tissée de laine. Sur une des
commodes _, une pendule en bronze doré « d'un pan
de circonférence » et sur l'autre commode deux urnes
en porcelaine, dorées et peintes, surmontées de fleurs
artificielles. Aux deux extrémités du salon, deux
urnes , l'une servant à brûler des parfums , sur un
(i; La slatuo l'ijucstrc en bion/c cl les (Kmiï urnes en vieux Cliine, qui
ornaient la vasie ciiominiie ilc ce salon , lijïurent aujourd'hui parmi les
objets les plus précieux du musée de Urai;uignan.
— H —
piédestal de marbre gris , soutenue par trois pieds à
tête de mouton, garniture en cuivre doré; l'autre
urne, en plâtre peint ^ sur trois pieds sculptés et
dorés; enfin, suspendu au milieu de la salle, un
lustre à six branches , garni de différentes pièces de
cristal, et sur les portes quatre médaillons très gra-
cieux.
Indépendamment des chambres et des salons oc-
cupés par M'^^^ la marquise de Valbelle et par son
fils , le château renfermait un assez grand nombre
d'appartements élégants et confortables, mis à la dis-
position des parents et amis du comte , qui exerçait
l'hospitalité très largement. Chaque appartement était
désigné par le nom d'une des dames de Valbelle qui
l'avait habité antérieurement, et dont, par une galan-
terie aimable , le comte avait fait placer le portrait
dans la chambre à coucher.
11 y avait les appartements de M"^^ la marquise de
Gastellane-Majastre , née Marguerite de Valbelle,
sœur du comte ; de M"^^ Alphonse de Valbelle née de
Ghavigny, femma de son frère; de M'^« la marquise
de Valbelle, sa mère; de M"^® Anne de Demandols ,
son aïeule ; de mesdames Gabrielle de Brancas et
— 12 —
Suzanne de Fabri , ses bisaïeules ; de M"^^* Anne de
Vintimille et Anne-Silvie de Galéan , ses trisaïeules ,
et enfin des mères de ces dernières , M^^^^ Aimare de
Cabre et Marguerite Doria.
Il y avait aussi les chambres de M™®^' de Simiane,
d'Arzaqui, deCandolle, d'Hue, de Renaud et celle de
la reine Jeanne. Il y avait encore la chambre du
comte de Sainte-Tulle , celle du marquis Cosme-
Maximilien-Louis de Valbelle , et enfin la chambre
historique de Henri IV^ ornée de son portrait.
Avant de présenter au lecteur le comte de Valbelle,
qui recevait, en ce moment, les aimables habitués de
ces fêtes retentissantes dont on a un peu exagéré la
galanterie , faisons connaissance avec les nobles
dames qui furent ses aïeules. Le commandeur de
Valbelle-Meyrargues , l'un des oncles du comte, a
laissé des notes confidentielles sur plusieurs d'entre
elles. Voici ces notes transcrites dans le Liore de rai-
6'ondu commandeur sous ce titre assez ambilieux :
Discours singulier d'AlpJionse de Valbelle-Mey-
rarcjues , commandeur de Montfrain , au diocèse
d'Usés, sur le caractère des dames de sa maison.
« Je veux ^ à cette heure, parler de ma grand-
— 13 —
mère , dame Aimare de Gabre-Roquevaire. Jamais
femme n'a plus mérité de son mari , de ses enfants ,
de ses beaux-frères, que cette vertueuse dame; jamais
on ne vit une telle attention pour l'éducation des uns,
pour l'entretien de Tamitié et de l'union entre les
autres. Une piété solide et sans ostentation était la
base de toutes ses actions , mais elle n'en faisait
jamais rien sentir; elle était charmée que l'on se
divertît, que l'on fit des parties de chasse, que l'on
dansât, que l'on jouât; cependant elle se retirait dans
sa chapelle^ n'étant occupée qu'à demander à Dieu la
prospérité pour sa famille; Dieu exauça ses prières
en lui donnant deux belles-filles selon son cœur, et ^
à chacune d'elles, une nombreuse postérité qu'elle a
eu le plaisir de voir jusqu'à la quatrième génération.
Elle mourut extrêmement riche en 1657 , au grand
regret de tous ses descendants qui l'aimaient uni-
quement , et de moi surtout , pour qui elle paraissait
avoir un peu plus d'amitié , quoiqu'elle tachât de le
dissimuler.
« L'aînée de ses belles-filles fut Anne-Silvie de
Gallean des Yssarts^, ma mère, sur la vertu de
laquelle je ne finirais pas sitôt si je voulais rappor-
— 14 —
ter tout le bien que m'en disait ma grand-mère; elle
mourut fort jeune. Mon père en parlait à peu près
comme sa mère , et ce n'était jamais sans verser
quelques larmes.
« A de si dignes femmes a succédé une mégère : je
parle de Suzanne de Fabri , ma belle-sœur; elle ap-
porta de si grands biens dans notre maison que
jamais il n'y était entré un tel ménage; mais elle y
apporta , en même temps , tant de vices que difficile-
ment on pourrait en tant rassembler en une seule
personne. J'ai été obligé de vivre avec elle plusieurs
années, et je puis dire en honneur que je n'ai jamais
reconnu en elle aucune semence de bien , mais une
aptitude à tout mal. Elle a ruiné de fond en comble
notre maison , elle a fait mourir mon frère de cha-
grin , et a couronné l'œuvre dans la viduilé, en fai-
sant cà ses enfants, mes chers neveux , tout le mal
qu'elle a pu. Elle les a volés , leur a extorqué leur
bien sous prétexte d'amitié et de tendresse. Cela fait,
elle les a déshérités, a mis son bien à fonds perdu et
enfin , pour comble de tous maux , elle leur a laissé
des procès jusque à la quatrième génération , par
toute sorte d'infamies qu'elle a médité avec beaucoup
~ 15 —
d'art. Dieu nous a délivré de cette méchante femme
en 1695, et elle aurait pu vivre encore trente ans;
aussi , il le faut louer de ces trente ans qu'il a re-
tranchés.
« Qu'aurait dit ma pauvre grand-mère , si elle
avait pu vivre jusque à ce temps? elle n'aurait pu
faire que ce que j'ai fait , elle aurait cherché une
femme'à mon neveu, qui fut capable de réparer tant
de maux; je l'ai cherchée cette femme et je crois
l'avoir trouvée : c'est Marie-Thérèse d'Oraison , nièce
de M. le bailly et de M. le commandeur d'Oraison ,
nos bons et anciens camarades. »
Marie-Thérèse d'Oraison, fille du Marquis d'Orai-
son, vicomte de Gadenet , qui épousa, comme nous
venons de le voir , Gosme-Maximilien de Valbelle ,
marquis de Rians, baron de Meyrargues, devint la
grand'mère du Comte dont nous écrivons l'histoire,
parson fils André-Geoffroy de Valbelle, qui épousa
sa cousine Marguerite-Delphine de Valbelle, mar-
quise de Tourves. Or , remontant à la bisaïeule de
cette dernière , l'auteur du Discours sur les Dames
de Valbelle continue en ces termes ;
« Anne-Marguerite de Vintimille était accusée
— 16 -
d'aimer à plaider ; mais Jean-Baptiste deValbelle,
marquis deTourves, son mari, qui la laissait gouver-
ner en tout, n'avait pas la même complaisance pour
son humeur chicaneuse , et avait su modérer cette
humeur processive avec douceur et politesse ; elle
mourut âgée d'environ 47 ans, laissant quatorze en-
fants vivants, qui la regrettèrent infiniment^ ainsi que
son époux qui lui survécut pendant plus de vingt ans
en viduité ; elle fut aussi fort regrettée des pauvres
de ses terres, vers lesquels elle était fort libérale.
« Son fils aîné épousa, quatre mois après sa mort,
dame Gabriellede Brancas; elle est aujourd'hui dans
la haute dévotion , et même dévote du père Larderai,
c'est-à-dire dévote à vingt karats , et comme elle est
déjà d'un ûge mur, je ne doute point que cette dévo-
tion ne tienne comme poix ; quoi qu'il en soit^ j'aime
beaucoup mieux qu'elle soit femme de Messire Joseph
de Valbelle que la mienne. »
C'est par cette épigramme que le Commandeur de
Malte termine son Discours, « fait à Montfrain, le 15
novembre 1701. »
Joseph de Valbelle, époux de la dévote à vingt
karats , mourut en 1722 , laissant un fils : Cosme-
— 17 —
Maximilien-Louis-Joseph de Valbelle , marquis de
Tourves, président au Parlement de Provence , qui
avait épousé, en 1704, Anne-Marie de Demandols.
Leur fille , Marguerite-Delphine de Valbelle, mar-
quise de Tourves, épousa, le 1^"^ juin 1723, son cousin
germain , Anne-Geoffroy de Valbelle , marquis de
Rians ; d'où est né le Comte de Valbelle , celui-là
même que nous voyons, en 1777, faire les honneurs
de son château de Tourves â de nombreux invités.
La tradition, d'accord avec les écrits contemporains
que nous avons pu consulter, aime à représenter le
Comte de Valbelle comme un des gentilhommes les
plus séduisants de son époque.
« Si l'on voulait, écrivait-on, donner aux étrangers
l'idée d'un français aimable, c'est le Comte de Val-
belle qu^il faudrait leur présenter ; il racontait avec
agrément, plaisantait avec finesse , toujours sans
fiel, et se prétait avec grâce aux représailles légères
dont il pouvait être l'objet. » (1)
Diverses circonstances , mal interprétées par les
ennemis de l'ancien régime , ont aidé à créer la lé-
(1) BoucHB. Essai sur l'Histoire de Provence . Tome II, p. 440.
2
— 18 —
gende populaire qui a fait , du château de Tourves ,
une sorte de parc aux cerfs, et, du comte de Valbelle,
le plus raffiné des débauchés du XVIII^ siècle.
Valbelle, issu d'une des plus anciennes familles de
Provence, disposant d'une immense fortune, officier
général à vingt ans^ très bien fait de sa personne ,
avait mené à Paris, dans sa jeunesse, la vie à gran-
des guides. Il avait été l'amant préféré de la célèbre
Clairon, qui l'avait entraîné dans la société des ac-
trices delà Comédie Française. (1)
Plus tard, le comte de Valbelle, réunissant au châ-
teau de Tourves quelques gentilshommes de ses
amis, voulut leur présenter l'actrice en renom , M"®
Clairon , « pensionnaire du roi », très recherchée ,
très entourée à Paris. Il la fit venir en Provence.
Elle fut émerveillée de trouver, dans un pays enchan-
teur, doux et parfumé, une société d'élite qui l'ac-
(1) c M-"» Préville, femme de Louis du Bas , dit Préville , acteur de la
Comédie Française, accoucha, le lljuilldt ITôô, de Claire-Louise-Uphon-
siite, qui eut pour marraine Claire-Joseph-Ilippolyte de La Tude (M"«
Clairon), et pour parrain Joscph-Alphonsc-Omer, comte de Valbelle, re-
présenté par Nicolas-François-Hyacinthe du Bas, officier du roi. » (A. Jal-
Dictionnaire critique de Bioyrapliie et d'Histoire, p. 1000).
— 19 —
cueillit avec enthousiasme. Mais ces visites qu'elle
renouvela n'étaient pas du goût de la Marquise de
Valbelle. On fit comprendre à la Clairon qu'il y avait
loin du foyer de la Comédie Française à une réunion
de nobles dames qui , sans être collets-montés , ne
pouvaient se rencontrer trop souvent avec elle. Nous
trouvons dans des notes qui nous ont été remises par
M. le Marquis de J. C.^ dont la famille fut alliée aux
Valbelle , quelques détails intéressants sur cette si-
tuation.
ft J'ai pu, dit-il, entendre les protestations des
personnes ayant fait partie de la société intime de la
mère du dernier comte de Valbelle , ayant acquis
ainsi la connaissance de tout ce qui s'était passé à
Tourves. Ces personnes affirmaient d'abord que les
bouderies de M^^® Clairon , malheureusement trop
passagères , avaient toujours été calculées par elle
seule , dans le but unique d'arracher le Comte de
Valbelle à la société de bonne compagnie réunie à
Tourves. Et si la faiblesse maternelle de la Marquise
de Valbelle était descendue quelquefois jusqu'à lais-
ser arriver la Clairon à Tourves, sous le prétexte de
lectures dramatiques, la Clairon elle-même n'avait
— 20 —
pas tardé à reconnaître qu'elle n'était pas acceptée
par la majorité de l'entourage du Comte^de Valbelle.
« Les fêtes littéraires de Tourves avaient lieu devant
ce beau portique dont les grandes colonnes sont encore
debout ; mais il fallait souvent entendre là des sa-
vants ennuyeux^ quoique le programme eût été arrêté
d'avance par un aréopage de lettrés et d'artistes fixés
à demeure au château. Parmi les lettrés les plus
dévoués à M™® la Marquise de Valbelle , se trouvait
à Tourves, le Père Cerutti, l'auteur de V Apologie des
Jésuites. C'était lui que redoutait le plus la Clai-
ron ». (1).
M'^^ Clairon redoutait sans doute Tinfluence du
Père Cerutti ; mais elle en voulait surtout à une dame
qu'elle désigne très bien, sans la nommer cependant,
dans sa correspondance : « Cette femme , écrivait-
elle, le 20 février 1774, se montre publiquement
votre maîtresse, et son mari vivant , exige de vous
(i; M. le Maniuis de J. C. qui a eu la boiito de me remctire ces notes,
est plus qu'octogénaire , mais il a conservé une mémoire merveilleuse et
ses relations de famille l'ont mis en situation de fréquenter, dans sa
jeunesse, des personnes qui avaient vécu à l'époque où les salons du comte
de Valbelle étaient ouverts b toute la noblesse provençale.
- 21 —
une promesse de mariage ; dont Tâge actuel ne laisse
aucun espoir d'avoir des héritiers (1); elle vous arrête
dans des lieux où, depuis le mariage de M^^^ de
Marignane (avec Mirabeau)^ vous ne pouvez plus
rien trouver qui vous convienne, où tout le monde
vous hait au fond de l'âme. » (2)
On sent bien que le dépit seul a dicté cette lettre.
L'actrice délaissée ne peut plus se faire illusion ;
Valbelle est occupé ailleurs et ne tient pas à Tavoir
auprès de lui.
M"« Clairon, qui avait daté sa lettre d'Anspach, y
demeura, en eftet, et ne retourna à Paris qu'en 1791,
c'est à-dire plus de vingt ans après la mort du Comte
de Valbelle.
La femme mariée, qui était accusée par Clairon de
retenir Valbelle à Tourves , est désignée , sous le
nom de la Madame du château , dans une chanson
dirigée contre la société reçue à Tourves, et dont une
(1) Née en 1723 , Clairon avait elle-même 51 ans quand elle reprochait à
cette dame de n'être plus d'âge à avoir des enfants,
(■3) Mémoires d'Hyppolite Clairon et Réflexions sur la déclamation
théâtrale, publiés par elle-même. Seconde édition. Paris, chez F. Buis-
son, an VII de la République.
— 22 —
copie nous a été communiquée par M. Mouttet, le
plus obligeant des bibliophiles.
Valbelle, votre cour d'amour,
Vouée ^ la tracasserie,
N'est pins qu'un odieux séjour
D'oii la confiance est bannie.
On s'y déchire, on s'y hait,
On baille et jamais on ne rit.
Grand Dieu ! quel fléau
Que la Madame du chàtcan !
L'ami du Dieu de l'harmonie.
Excitant l'admiration.
De Roland excite l'envie";
On le mena tambour battant.
Quel est son crime ? Son talent.
Grand Dieu ! quel fléau
Que la Maiiamc du rliâtt'au !
J'ai vu la plus tendre des sœurs (1);
En butte aux traits des deux cousines (3),
Fuir pour se soustraire aux noirceurs
Qu'avaient ourdies ces messalines.
(1) Anne-Margucrilo-Alphonsinc de Yaibcllo, tnvur du comte, marioc en
171') au marijuis Uenri de Ca$tellane-Majastr<'.
(9) M"' Des R«land et .M"'» de Crozc.
— 23 —
En Elle qu'a-t-on redouté?
La décence et l'honnêteté.
Grand Dieu ! quel tléau
Que la Madame du château (1) !
A côté de cette critique violente des mœurs du
château de Valbelle, il est juste de placer les vers,
remplis de tendresse et d'admiration pour les Val-
belle^ qui étaient adressés à la Marquise et au Comte,
par M. Ghauvet d'Allons, procureur du roi à la Séné-
chaussée de Draguignan.
Ghauvet d'Allons venait de publier son poème sur
le Siège de Marseille, qui avait été couronné par l'Ac-
adémie des Belles Lettres de cette ville ; il en offre
un exemplaire à M"^® la Marquise de Valbelle et ne
craint pas de comparer son fils à un héros :
J'ai décrit nos heureux travaux,
Et, lorsque j'ai peint un héros,
Ton fils m'a servi de modèle.
Dans une épître dédiée au comte de Valbelle, il
(1) D'après une note du copiste de cette chanson, M"" Des Roland serait
la Madame du château ; celle-là même dont Clairon était jalouse et qui
''vait un vieux mari.
— 24 —
dépeint le château de Tourves sous les couleurs les
plus brillantes :
Je vois ce séjour enchanteur ,
Ces lieux soumis à votre empire,
Ce Tourves, enfin, où tout respire
Et le plaisir et la grandeur.
Du goût, tout ici est l'ouvrage ;
On trouve, on sent son tact flatteur.
Dans le parc et dans l'hermitage
Point de fatigante splendeur ;
Partout l'cclairé connaisseur
Eclipse ici le grand seigneur.
Les lettres, les beaux arts et les travaux rustiques
Remplissent ce loisir que te laisse la paix,
Ainsi Condé, fameux par dus faits hcroï(iues,
De sa main triomphante élaguait ses bosiiuets.
Amant de la belle nature,
Valbellc rends ces lieux toujours plus enchanteurs,
Mais tes vertus et ta figure
Les ornent mieux cent fois que le marbre et les fleurs.
Chauvet d'Allons ne laissait échapper aucune oc-
casion pour témoigner son affectueuse admiration au
comte de Valbelie. Il écrivit sous son portrait ces
vers dont la conclusion est heureuse :
— 25 —
Héros au milieu des alarmes,
Philosophe au sein de la paix,
Sa vie est un tissu de gloire et de succès ,
Et les cœurs qui voudraient résister à ses charmes
N'échappent pas à ses bienfaits.
Nous n'avons vu jusqu'ici que le gentilhomme rem-
pli de courtoisie , l'ami des lettres et des beaux arts,
ouvrant ses salons aux philosophes , aux poètes et
même à M^^® Clairon ; mais les documents contem-
porains nous le font également connaître dans l'exer-
cice des hautes fonctions qu'il remplissait en Pro-
vence.
Maréchal de camp des armées du roi , Valbelle
s'était brillamment conduit dans diverses circonstan-
ces , et, la paix lui laissant des loisirs , il était rentré
dans ses terres auprès de sa mère qu'il affectionnait
tendrement. Dès son arrivée, il fut élu procureur du
pays pour la noblesse par l'assemblée provinciale (1).
(1) « L'assemblée a unanimement nommé M. le Comte de Valbelle pour
remplir la place de procureur du pays joint pour la noblesse, et a chargé
les sieurs maire, consul et députés de Saint-Maximin et de Rians de faire
savoir à M. le comte de Valbelle sa nomination à partir du 1" janvier
1774 ». (Délib. du l«f décembre 1773).
— 26 —
Il était depuis quelques mois à peine revêtu de ces
fonctions lorsqu'il fut nommé « lieutenant du Roi »
en Provence. Les Procureurs du pays lui adressè-
rent à cette occasion des félicitations sympathiques
et il y répondit , le 18 juin 1774 , en ces termes :
« Je sens comme je le dois, Messieurs, le prix des
témoignages de bonté et d'amitié que vous voulez
bien me donner , la grâce que le Roi vient de me
faire ne me vaudra certainement rien qui puisse
me toucher et me flatter davantage. Mon service ne
s'étendanl que sur la partie militaire, j'espère que
vous trouverez. Messieurs, qu'il n'est point incompa-
tible avec la place que j'ai Thonneur d'occuper dans
Tadministration. Je m'estime très heureux , que mon
goût pour mon métier et mon zèle pour le service du
roi, puissent se combiner avec mon zèle pour le ser-
vice de la province. »
En 1777 le lieutenant du roi reçut, des officiers en
garnison à Antibes, une réclamation qui lui parut
fondée; mais comme il s'agissait d'un impôt légale-
ment voté par la communauté de cette ville, il en
référa aux Procureurs du pays ses collègues , et tout
en reconnaissant le droit strict des consuls d'Anti-
— 27 —
bes , il mit en lumière avec beaucoup de tact le côté
défectueux d'une imposition qui pesait lourdement
sur les officiers et n'était pas supportée par les ha-
bitants.
Le 11 janvier de l'année suivante^ le Comte de
Valbelle reçut une plainte des consuls d'Aîx , pro-
cureurs du pays , ses collègues , contre un sieur de
Clerberq qui avait insulté une patrouille ; il s'em-
pressa de leur répondre en ces termes :
a Je pense , Messieurs , que moins les patrouil-
les sont imposantes, plus toutes les autorités doi-
vent se réunir pour les faire respecter. La Maré-
chaussée étant, à Aix , le seul corps auquel j'ai des
ordres à donner, j'écris à M. de Laurens pour qu'il
envoie chercher le sieur de Clerberq , et que je
puisse, d'après le compte qui m'en sera rendu , pro-
noncer sur les satisfactions qui vous sont dues. Ce-
pendant j'ai l'honneur de vous prévenir que l'autorité
que le roi a bien voulu me confier dans cette province
ne s'étendant que sur le militaire et ne me donnant
action au civil que dans le cas où le service du roi
peut être intéressé , si M. de Clerbecq , que vous me
faites l'honneur de me dire garde du roi , n'était pas
-- 28 —
dans ce corps, je ne pourrais voir en lui qu^un citoyen
ordinaire , et dès lors il aurait cessé d'être sous ma
discipline. J'ai Thonneur d'être, etc. Le Comte de
Valbelle ».
Les nouvelles fonctions que Valbelle remplissait
en Provence ne lui permettant plus de demeurer à
Paris où il possédait un hôtel situé rue du Bac (1),
il loua cet immeuble au marquis de Monteynard _,
lieutenant général des armées du roi , gouverneur
de l'île de Corse (2).
Divers actes passés chez M^ d'Astros , notaire à
Tourves , de 1773 à 1778, indiquent que le Comte de
Valbelle résidait tantôt à Aix , tantôt à Tourves (3),
(1) Cet hôtel porte aujourd'hui le a» 34 de la rue du Bac , en face de la
rue de Gubeauval, Acquis des héritiers du comte de Valbelle sous l'Em-
pire par Fouché , duc d'Otrantc, il était devenu, en 1834, la propriété du
comte de Lanjuinais. {Les anciens hôtels de Paris , par le comte d'Ar-
court.— Paris, 1880, p 107).
(2) Par un acte du 1-2 novembre 1774, notaire d'Astros , le comte de Val-
belle donne les pouvoirs nécessaires k son agent à Paris, pour toucher les
loyers de cette location.
(3) En 1708. le Comte de Valbelle avait pris diverses dispositions pour
rendre son séjour à Tourves le plus agréable possible. Par un acte du 27
août de cette même année, il acheta : « tous les arbres de la propriété du
— 29 —
et qu'iJ ne faisait plus que de très rares voyages à
Paris. Il s'y était rendu , cependant , vers la fin de
1778 , et y mourut subitement le 18 novembre , au
moment où il venait d'obtenir une situation plus im-
portante que celle qu'il occupait (1).
Dès qu'elle reçut cette terrible nouvelle , M"^^ la
marquise de Valbelle partit pour Paris. Elle y était
encore le 22 janvier 1779, lorsque les procureurs du
pays lui adressèrent la lettre de condoléance que
nous reproduisons ci-après :
sieur Plauchier, située au quartier de l'ancienne paroisse, confrontant, du
levant, la rue ; du midi, Pierre Pélissier ; du couchant et du septentrion ,
le chemin ; !e tout avec condition que ledit Plauchier ne pourra jamais
élever dans la dite terre aucune cabane , ni édifice , ni y agréger aucun
arbre, mais seulement des plantes , à l'effet que la vue de l'Esplanade du
seigneur comte de Valbelle ne soit jamais bornée ». (Minutes de Balthézar
d'Astros, not. à Tourves 1768, fol. 239). Aujourd'hui M« Monier, notaire.»
(1) « Le Comte de Valbelle mourut à Pajis d'une attaque d'apoplexie fou-
droyante , le 18 novembre 1778, étant à peine âgé de 49 ans. L'avant veille
de sa mort, le roi avait signé pour lui la grande pancarte de commandement
pour le civil en Provence , et que de bien n'en devaient pas attendre la
province entière et la ville d'Aix en particulier dont il soutenait à la Cour
les droits et 1ns intérêts dans toutes les occasions. » (Roux Alphéran.
Les Rues d'Aix. Tome I, page 519).
— so-
ft Madame, nous nous empressons , dans les pre-
miers moments de notre exercice , de témoigner à
une mère respectable tout ce que nous devons à la
mémoire d'un tel fils , que la province et la ville d'Aix
se feront toujours un honneur de compter dans la
classe de ces hommes rares qui se distinguent autant
par leurs sentiments que par leurs bienfaits. Nous
n'exprimons ici que le vœu commun de tous les bons
citoyens , et nous ne laisserons jamais échapper au-
cune occasion de faire éclater notre reconnaissance.
— Nous sommes avec un respectueux attachement,
etc. » (1).
j^jmt ç[q Valbelle répondit le 30 janvier en ces ter-
mes :
« La lettre dont vous m'avez honorée , Messieurs,
me flatte infiniment. J'ensuis bien reconnaissante,
ainsi que de ce que vous dites sur la mémoire du
comte de Valbelle. Je désire que vous veuilliez bien
décider comment je peux exécuter ses volontés sur
l'article de la pauvre fille d'Aix à marier; je ne puis
avant [de connaître votre décision] m'occuper des
(l) Archives des Bouclies-du-Rliône. Série C. Reg. 13GG, foi. 15i?.
— 31 —
lettres patentes nécessaires. — Je vous en prie , Mes-
sieurs , excusez si je vous en parle icy , je sens que
je ne dois penser qu'à vous remercier et vous pré-
senter les respectueux sentiments avec lesquels j'ai
l'honneur d'être , Messieurs , votre très humble et
très obéissante servante: Valbelle^de Valbelle ».
La marquise de Valbelle était à Paris pour recueil-
lir les restes de son fils et les faire porter en Pro-
vence, dans la chapelle de la Chartreuse de Mon-
trieux , où il avait exprimé le désir d'être enterré.
Le comte de Valbelle avait fait sa mère héritière uni-
verselle, par un testament en date du 26 juin 1773 ,
dont elle exécuta toutes les dispositions avec un
tendre empressement.
A peine âgé de 44 ans , plein de vie , le comte de
Valbelle avait eu la pensée de faire son testament ,
sans doute afin d'assurer, par un acte solennel, l'ave-
nir d'un enfant que son frère lui avait recommandé et
qui , d'après le sentiment général , devait être le fils
naturel de ce dernier.
Ce testament est intéressant a plus d'un titre. Le
comte de Valbelle (1), ce philantrope quelque peu
(1) c Je soussigné Joseph-Alphonse-Omer de Valbelle d'Oraison , des
— 32 —
voltairien^ implore tout d'abord la miséricorde divine:
« Je recommande mon âme à Dieu ; en Toffensant
je ne puis jamais avoir eu le projet insensé de l'offen-
ser ; ainsi, quelque soit le nombre de mes fautes ,
comme elles n'ont pas été volontaires , c'est avec
confiance, que je m'abandonne à sa miséricorde ».
11 s'occupe ensuite du lieu de sa sépulture.
« Je lègue aux révérends chartreux de Montrieux,
en Provence, dont Guillaume Bertrand et autres du
nom de Valbelle, des vicomtes de Marseille, mes an-
cêtres, furent premiers bienfaiteurs, dès le XII® siècle,
la somme de six mille livres , et je prie les révérends
pères de recevoir mon corps après ma mort, en té-
moignage de Taffection héréditaire que j'ai toujours
eue pour leur maison. Je veux être enterré dans la
paroisse où je mourrai (1), et mon intention est qu'il
anciens vicomtes de Marseille, niaroclial des camps et armées da rov, baron
du Dauphiné , marquis de Tourves , de Rians , de Montfuron , comte de
Sainte-Tulle , vicomte de Cadenet , baroo de Meyrartiues , seigneur de Val-
belle, de Cucuron et autres lieux , lieutenant du roi en Pravence, fils de
très haut et très puissant seigneur André-Geoflroy de Valbelle et de très
liautc et trl's puissante dame Marguerite-Delpbine de Valbelle. >
(1) Il mourut h Paris , mais son corps fut transporté k Montrieux, et ses
restes furent renfermés dans le Mausolée que sa mère lui lit élever dans la
chapelle de cette chartreuse.
I
— 33 —
me soit élevé un Mausolée , pour lequel je veux qu'il
soit employé la somme de vingt mille livres (1).
Il lègue ensuite quatre mille livres, pour doter cinq
filles pauvres à Tourves , cinq à Meyrargues , cinq à
Gadenet et cinq à Valbelle. Le choix de ces jeunes
filles sera fait , à la pluralité des voix , par le curé et
les consuls , anciens et nouveaux , de chacune de
ces localités.
Une somme suffisante sera affectée à l'acquisition
d'une terre, dont les revenus devront s'élever à 550
livres , et cette rente sera donnée à un pauvre gentil-
homme de la province , officier de terre ou de mer ,
qui aura servi dix ans avec honneur, et qui en jouira
pendant le reste de sa vie. « Cet officier , ainsi que
celui qui sera nommé après lui^ et ainsi des autres
successivement , sera mis en possession de cette
rente par l'assemblée générale de la noblesse de Pro-
vence, sur la présentation qu'en feront les syndics ».
Il lègue à la ville d'Aix la somme de 30^000 livres^
« laquelle somme sera employée à élever un obélis-
(1) Cette intention prouve bien la fausseté de la légende , qui veut que
Valbelle ait fait construire ce mausolée de son vivant.
3
— 34 —
que au milieu du rond des Minimes , sur le grand
chemin d'Aix à Avignon , et à décorer cette place. »
Puis vient une fondation perpétuelle en faveur d'un
littérateur : « Je prie Messieurs de l'Académie fran-
çaise de Paris , de trouver bon que je leur laisse la
somme de 24,000 livres, une fois payée , pour la pla-
cer le plus avantageusement et le plus solidement
que faire se pourra , les priant de vouloir bien , à la
pluralité des suffrages , décerner tous les ans le re-
venu qui proviendra de ce capital à tel homme de
lettres , ayant déjà fait ses preuves ou donnant seule-
ment des espérances , qu'ils jugeront à propos, pou-
vant les décerner plusieurs années de suite au même,
et y revenir après avoir discontinué, ainsi qu'ils trou-
veront bon et honnête à faire ».
Il n'oublie pas ses serviteurs : « Je laisse mes
habits, mon linge et mes dentelles à partager entre
mes deux valets de chambre. Je laisse à tous ceux de
mes gens qui seront à mon service lors de mon décès,
et qui m'auront servi six années, une pension via-
gère à chacun d'eux égale au montant de leurs gages
si leurs gages sont de plus de trois cents livres, et
la pension sera de trois cents livres pour tous ceux
— 35 —
dont les gages sont au-dessous de cette somme; mon
Livre de raison servira à constater cet état , et quoi-
que Lacombe , mon concierge à Aix ne soit pas cou-
ché sur mon Livre de raison, j'entends qu^'il soit traité
comme ceux qui s'y trouvent. J'entends de plus que
si Bourgogne, mon maître d'hôtel, n'avait pas à mon
décès le temps de service que je prescris pour avoir
la pension égale au montant de ses gages , il soit
traité néanmoins comme s'il avait ce temps de ser-
vice. Je laisse à tous autres de mes domestiques
compris sur mon Livre de raison, et qui ne m'auraient
pas servi l'espace de six années , une gratification
une fois payée, laquelle gratification sera de la somme
égale à celle que formeraient leurs gages pendant
tout le temps qu'ils m'auront servi ».
Cette sollicitude pour des serviteurs qui remplis-
saient ses hôtels , son château et ses résidences di-
verses , est à noter ; elle témoigne de la bonté de son
cœur en même temps qu'elle indique un train de
maison princier.
Voici maintenant le point délicat: la part considéra-
ble qu'il fait, dans la répartition de sa fortune, en
faveur d'un sieur de Gaussini , qui passait pour être
— 36 —
le flls de son frère le marquis de Valbelle , et qui
d'ailleurs ressemblait parfaitement à ce dernier.
« Je recommande aux bontés de ma mère et aux
soins de Messieurs Siméon et Sallier, Joseph-Louis
de Gaussini, fils de Joseph-Alphonse de Caussini et
de Marie-Louise de Pioncamp , baptisé à Saint-Paul
à Paris , le 15 février 1759; je lègue au dit Joseph-
Louis de Caussini la terre de Vallée , celle de Villon,
celle de Beuvons et celle de Valbelle et, en ce, je
l'institue mon héritier particulier. Mon intention, de
plus , est que le dit Joseph-Louis de Caussini , lors-
qu'il voudra se faire pourvoir de quelque charge ho-
norable, puisse prendre sur tout mon héritage la
somme , une fois payée , de soixante mille livres, et
qu'il puisse prendre autre somme de soixante mille
livres lorsqu'il se mariera , à la condition que la de-
moiselle qu'il épousera soit noble et n'apporte aucun
obstacle à l'entrée dans l'Ordre de Malte ».
Immédiatement après ce témoignage d'affection
donné au fils naturel de son frère (ou qui passait pour
tel), le comte de Valbelle songe à l'actrice qui lui fut
très attachée et il lui laisse un souvenir important:
« Je lègue à mademoiselle Clairon , pensionnaire
du roi, une rente viagère de quatre mille livres ».
— 37 —
Il lègue ensuite une pension viagère de mille livres
à M. l'abbé de Montclar « ci-devant jésuite » qui fut
son régent; un diamant de douze mille livres à M.
Siméonpère, avocat au parlement d'Aix , et un autre
diamant de la même valeur à M. Sallier, avocat au
dit parlement.
Puis viennent des legs particuliers qu'il accompa-
gne toujours d'une parole gracieuse^ qui doit en dou-
bler le prix.
« Je laisse à M. de Ballon mon cousin , conseiller
au Parlement , une de mes tabatières à choisir , que
je le prie de vouloir bien accepter comme une légère
marque de mon souvenir et de mon amitié.
« Je laisse à M. le marquis de Marignane, une de
mes tabatières à choisir et ma bague de pierre gra-
vée représentant Henri IV; il doit à mes sentiments
pour lui de vouloir bien l'accepter.
« Je laisse à M. le vicomte de La Rochefoucault
de Surgères mes tablettes de lacque , montées en or
et garnies de huit portraits^ et je le prie de les
accepter comme un présent que lui fait mon cœur. »
Quels étaient ces huit portraits , représentaient-il
des parents ou des amis, des fidèles de sa cour d'à-
— 38 —
mour ou des actrices de la comédie française ? nos
recherches sont restées infructueuses à cet égard.
Nous ne connaissons que les nobles dames men-
tionnées dans son testament et pour lesquelles il
manifeste des sentiments très respectueux.
« Je laisse à madame de Croze, née de Charleval,
ma montre à répétition émaillée, garnie de diamants,
la chaîne et les cachets avec ma bague de cristal vert
entourée de diamants et un chiffre de diamants; l'hon-
nêteté et le respect, qui ont toujours accompagné mes
sentiments pour elle, ne lui permettent pas de refuser
cette marque de mon souvenir.
« Les mêmes motifs me rappellent les dames ci-
après :
« Je laisse à Madame la marquise de Roye, née
mademoiselle deMailly, ma tabatière d'émail gris,
montée en or, avec une miniature au milieu, entourée
de diamants; j'espère de ses bontés qu'elle ne me
refusera pas de l'accepter.
« Je laisse à Madame la marquise Des Roland, née
mademoiselle de Montvallon, ma tabatière d'or ronde
émaillée en rouge et le diamant blanc que je porte à
mon col ; les bontés dont tous les siens m'honorent ,
i
- 39 —
mon respect et mon attachement pour elle , lui font
une loi de ne pas refuser la grâce que je lui demande
d'accepter cette marque de mon souvenir.
« Je laisse à Madame Landri , née mademoiselle
Bourret, ma tabatière représentant des vues de
Tourves , que je la prie d'accepter comme un gage
de la reconnaissance que j'ai de l'amitié qu'elle m'a
toujours témoignée.
« Je laisse à Madame d'Adhémar , ma belle-sœur,
une de mes bagues à choisir, comme une faible mar-
que de l'amitié que j'ai toujours eue pour elle ».
La part faite à l'amitié et peut-être aux sentiments
plus tendres que Clairon l'accusait de prodiguer au-
tour de lui, le comte de Valbelle laisse encore quel-
ques souvenirs à sa sœur et à son beau-frère , et
enfin institue sa mère sa légataire universelle.
« Je lègue à M. le marquis de Castellane , mon
beau-frère, mes boutons de manche de diamant;
c'est par la façon dont je vais m'occuper de ses
enfants que je chercherai à lui prouver que je lui
suis tendrement attaché.
« Je lègue à M"^^ la marquise de Castellane , ma
— 40 -
sœur , mes boucles de souliers de diamant comme
un gage de ma tendre amitié pour elle (1).
« Je lègue à Marie-Polixène-Sextia de Castellane,
ma nièce , la somme de cinquante mille livres , une
fois payée.
« En tous mes biens, noms , droits et actions quel-
conques , de quelque part qu'ils me viennent ou me
soient échus, j'institue pour mon héritière universelle
Madame Marguerite-Delphine de Valbelle , ma mère,
pour en faire et disposer ainsi qu'elle trouvera bon,
la priant de les rendre après elle à André-Joseph-
Marie-Gaspard de Castellane et à Henry-Auguste-
Alphonse de Castellane , mes neveux, enfants de ma
sœur, pour partager entre eux également.
« Tel est mon dernier testament et mes dernières
voloi)lés que je veux être ponctuellement exécutées.
« Fait double à Aix, le 26 juin l'^73, et j'ai signé
(1) Ce legs peu important et son objet même ont donné naissance à una
singulière tradition , qui a frappe vivement l'imagination des habitants de
Tourves. où l'on raconte , arec conviction , que M°' de Castellane n'eut
dans sa part d'héritage qu'une paire de bottes.
— 41 —
au bout de chaque page » Signé : Comte de Val-
belle (1).
Le comte de Valbelle vécut encore cinq ans. Il de-
meura presque toujours en Provence , à Aix dans
son hôtel , situé rue Bellegarde (2), et à Tourves ,
dans son château « qui était, d'après Roux Alphéran,
le rendez-vous des hommes les plus galants et des
dames les plus aimables de la province (3) ». Il mou-
(J) Registre des insinuations n* 128, fol. 929.
(2) Le vaste et bel hôtel situé un peu au-dessous de la maison Tourna-
toris (rue Bellegarde) . fut bâti , vers la fin du XYII» siècle , par Joseph-
Anne de Valbelle, marquis de Tourves, comte de Sainte-Tulle, reçu prési-
dent au parlement en 1686, et qui mourut en 1722. La maison de Valbelle,
originaire de Marseille et féconde en personnages de mérite, était alors
divisée en quatre branches dont deux s'éteignirent vers la même époque,
savoir celle des seigneurs de Beaumelle et d'Aiglun , qui était l'aînée de
toutes, en 1716 , et celle des marquis de Montfuron qui était demeurée k
Marseille, en 1732. La fortune dont elles jouissaient vint accroître celle des
deux autres branches établies à Aix depuis un siècle environ , et qui se
réunirent, en 1723, par le mariage d'André-Geoffroi de Valbelle , marquis
de Rians , baron de Meyrargues , avec Marguerite-Delphine de Valbelle
Tourves , petite-fille de Joseph -Antoine > et qui fut la mère du comte de
Valbelle dont nous venons d'analyser le testament. (Rues d'Âix , tome I,
p. 507).
(3) « Joseph-Alphonse-Omer , comte de Valbelle , maréchal des camps et
armées du roi , né à Aix , le 18 juin 1729 , fut l'un des hommes les plus
— 42 —
rut, comme nous l'avons dit, le 18 novembre 1778. Sa
mère mit un grand empressement à exécuter toutes
ses volontés.
La première pensée de M'^^ la marquise de Val-
belle^ après avoir recueilli les restes du comte, fut
sans doute d'écrire en province pour lui faire élever
un mausolée, et d'y affecter la somme de 20000 livres
déterminée par une clause de son testament. Mais ,
en même temps qu'elle s'occupait de ce soin pieux ,
elle demanda à Houdon de faire le buste de son fils;
aimables de son temps. Devenu, en 1767, par la mort du marquis de Val-
belle, son frère aîné, qui ne laissait point d'enfants , l'unique héritier du
nom et des diverses branches de la maison, il fut en même temps marquis
de Tourves. de Rians, de Monlfuron, comte de Sainte-TuHe et de Ribiers,
vicomte de Cadeiiet, baron de Mcyrargues , ce qui lui donna des reyenus
immenses qu'il sut employer tour à tour, au soulagement des pauvres , à
l'encouragement des artistes , au plaisir et à la gloire. On parle encoru
du grand état de maison qu'il tenait à Paris comme à Aix , et plus encore
k Tourres, où son château . démoli pendant la Révolotion, était ie rendez-
vous des hommes les plus galants et des dames les plus aimables de la
province. C'est ce qu'on appelait avec raison une nouuclle Cour d'amour,
où les fêtes les plus brillantes et les mieux ordonnées se succédaient avec
tout le luxe et la splendeur imaginables >. (Roux Alphiran. Les Rues
d'Aix, tome I", p 509).
I
— 43 —
'elle lui remit un excellent portrait et cet artiste célè-
bre qui d'ailleurs l'avait connu , s'aidant de ses sou-
venirs personnels, fit une œuvre très remarquable au
double point de vue de l'exécution artistique et de la
ressemblance.
Ce buste en marbre, placé au milieu des quatre
statues qui ornaient le mausolée du comte de Val-
belle , à la Chartreuse de Montrieux, est aujourd'hui
conservé dans le Musée de la ville de Draguignan.
Une copie en plâtre , ou l'original lui-même exécuté
en plâtre , se trouve au Musée de Versailles, dans
une salle affectée au Sénat (1). C'est le même buste
sans doute dont il est fait mention en ces termes ,
(1) « Le marbre (de Draguignan). a peut-être été exécuté d'après l'originai
en plâtre de l'Académie. C'est ce plâtre que nous avons , je crois, à Ver-
sailles, tout semble l'indiquer. Les coutures du moulage ont été grattées
avec soin, mais elles paraissent encore et laissent deviner un moule en
deux parties, ce qui est toujours le procédé employé sur le travail original.
En outre , dans les cheveux , dans les sourcils , on sent le travail de la
terre-glaise. Les yeux , notamment l'iris de l'œil gauche , ne sont pas
exécutés comme dans le marbre de Draguignan. Ce plâtre est signé sous
le bras droit : Houdon, 1779 ». (Lettre de M. Charles Gosselin , conser-
vateur du musée de Versailles, du 7 août 1889).
— 44 —
dans la biographie de Houdon , publiée par MM.
Emile Délerot et Arsène Legrelle :
« Le 25 août 1779 , l'Académie française avait
tenu sa séance publique annuelle , dite de la Saint-
Louis. Houdon honorait de sa présence cette solen-
nité ; il avait du reste sa part dans cette fête acadé-
mique et dans le grand événement dujour. M. de
Valbelle , mort en 1778, avait légué 24,000 livres à
l'Académie. La compagnie reconnaissante, décida que
l'éloge de son riche bienfaiteur serait lu dans une
séance publique par son secrétaire-perpétuel , et que
son buste serait placé dans la salle des assemblées
ordinaires avec cette inscription :
« Joseph-Alphonse-Omer, comte de Valbelle ,
bienfaiteur des lettres.
« Naturellement^ Houdon avait été chargé de ce
nouveau travail , et bien qu'il n'eut pu le faire qu'a-
près la mort de son modèle , il réussit à atteindre la
plus parfaite ressemblance. On eut dit vraiment qu'il
avait un secret merveilleux pour retrouver la vie au
sein même de la mort (1).
(1) Houdon avait eu cvidcmmonl sous les yeux un bon portrait du Comte
1
— 45 —
«A la fin de la séance, le buste fut mis sous les
yeux du public. On admira d'abord silencieusement;
mais quelques regards indiscrets ayant découvert
dans l'assemblée le timide Houdon , qui semblait
comme confus de son triomphe et désireux de s'y
dérober ^ trahirent son incognito et les espérances
déçues de sa charmante modestie (1) ».
« Le buste de Houdon, dit un autre narrateur de
cette journée , fut plus applaudi que l'éloge de d'A-
lembert (2) ».
Tandis que le moulage en plâtre demeurait dans la
salle des séances de l'Académie française , le buste
que lui avait remis M^^Ma marquise de Valbelle Le buste en marbre avait
été exécuté pour le mausolée du comte; mais l'artiste en avait fait une copie
ponr l'Académie. Il est certain que la marquise de Valbelle y avait consenti
et qu'elle avait été heureuse de se prêter à une manifestation qui honorait
la mémoire de son fils. Cependant il ne serait pas impossible que l'original
eut été exécuté en terre glaise et que Houdon en ait fait ensuite deux co-
pies, l'une en marbre , pour M™» la marquise de Valbelle, et l'autre en
plâtre, pour l'Académie.
(1) Mémoire sur la vie et l'œuvre de J.-À. Houdon , par MM. Emile
Délerot et Arsène Legrelle , publié par la société des lettres et des arts
de Seine-et-Oise. Tome IV, 1857, p. 118.
(2) Mémoires de Madame de Genlis , t. II, p» 289.
— 46 —
en marbre du comte de Valbelle était expédié en Pro-
vence (1), et l'œuvre si parfaite de Houdon ne tardait
pas à figurer au milieu du monument funéraire que
la marquise de Valbelle , ou les chartreux de Mon-
trieux , avaient fait exécuter par des artistes de se-
cond ordre.
Le mausolée du comte de Valbelle fut mis en place,
dans la chapelle des chartreux de Montrieux , vers
le commencement de 1783 ; une note consignée dans
la comptabilité de ces religieux ne laisse aucun doute
à cet égard.
« Payé à M. Christophe Fossaty sculpteur , tant en
considération de ce qu'il a été perdant aux ouvrages
du mausolée de M. de Valbelle , que pour les peines
qu'il a prises pour les finir, et mieux encore pour
divers ouvrages que sa police (?) ne comportait pas;
surtout pour la réparation des anciens marbres;
(1) Il est certain, d'après /fl /j4/(; des autres pirncipales de Houdon ,
publiée par MM. Délerot et Legrelle , que ce célèbre artiste a fait deux
bustes de Valbelle, l'un en plâtre et l'autre en marbre {Mémoires de la So-
ciété des arts et belles-lettres de Seine-et-Oise, 1856, p. 229); or, ce der-
nier buste ne peut être que celui qui a été trouve sur le mausolée du
comte et qui orne aujourd'hui le musée de Dr;)guigDan.
i
— 47 —
enfin, pour autres ouvrages qu'il a fait pour assortir
tout l'ensemble du sanctuaire , 810 livres (1) ».
Christophe Fossaty avait-il exécuté les quatre sta-
tues qui entouraient le buste du comte de Valbelle,
ou fut-il seulement appelé pour les mettre en place et
ajouter certains détails indiqués par les chartreux?
Ce qui est très évident, c'est que ces statues que l'on
peut encore voir à Toulon, àDraguignan, à la Sainte-
Baume et à Fréjus (2), n'ont rien de remarquable. Ce
sont des oeuvres décoratives , sommairement sculp-
tées par des artistes sachant travailler le marbre ,
mais qui ne rappellent en rien le faire délicat et sa-
vant de l'auteur du buste.
Ces statues représentaient quatre pZewreases : deux
debout et deux assises , dans une pose attristée et
presque abandonnée. Les chartreux effarouchés sans
doute par l'aspect plus mondain que religieux de ces
pleureuses, convenablement drapées, il est vrai, mais
(1) Comptes du f" avril 1783 aul" avril 1785, dans le registre des dé-
penses des chartreux de Montrieux.{kficm\E$ de la préfecturb du Var).
(2) Archives de la préfecture du Var , Mkounes. Mobilier de la char-
treuse de Montrieux, fol. 60.
— 48 —
dont Tatlitude n'était pas celle de la prière, demandè-
rent au sculpteur Fossaty d'en modifier le caractère
général en ajoutant, à chacune d'elles, un attribut plus
en rapport avec le monument qu'elles décoraient.
La première statue , qui était debout , reçut une
couronne, et l'urne sur laquelle elle s'appuyait prit la
forme d'un écusson aux armes de Provence; cette
statue représenta dès lors \a Provence pleurant un de
ses enfants les plus distingués.
L'autre statue debout , moins attristée et presque
souriante, devint VEspérance.
Un glaive fut ajouté à la 3^ statue pour en faire la
Force , et rappeler la devise des Valbelle : Vertu et
fortune.
Enfin, la quatrième, un peu modifiée, fut transfor-
mée en Sainte Monique , la mère désolée qui pleurait
les erreurs de jeunesse de son fils.
Telles étaient les dénominations sous lesquelles on
inventoria ces œuvres d'art, en 1790 , lorsque la mu-
nicipalité prit possession de la chartreuse de Mon-
trieux , au nom de la Nation :
a Le 17 décembre 1790, Joseph-Antoine Billet,
maire , et François Fabre, procureur de la commune
— 49 —
de la municipalité de Méounes , commissaires délé-
gués par le Directoire du district de Brignoles, à la
réquisition de M. le procureur syndic^ du 21 novem-
bre dernier, pour , en conformité de Tarrêté de l'as-
semblée administrative du département du Var , du
14 du dit mois, nous rendre aux chartreux de Mon-
trieux, et y dresser un état des effets mobiliers.
« Nous sommes rendus à la chambre du R. P. D.
Génot, prieur, que nous aurions trouvé en compagnie
du R. P. D. Bonaventure Froment^ vicaire, et du
R. P. D. Thomas Tracol , coadjuteur , lesquels nous
ayant déclaré être disposés à satisfaire à tout [ce qui]
est prescrit, nous aurions procédé à l'inventaire de
tous les effets mobiliers.
« Autour de l'autel, sont quatre statues grandes ,
de marbre, au pied desquelles est écrit : La Force y
V Espérance y Sainte Monique , la Provence; au milieu
desquelles se trouve un buste représentant feu M. de
Valbelle; à droite et à gauche de Tautel sont deux
urnes de marbre jaune (1) ».
(1) Archives départementales du Var, série H, fonds de la Chartreuse
4
— 50 —
Ce mausolée et tous les marbres qui existaient
dans la Chartreuse de Montrieux, furent vendus par
la Nation et acquis , moyennant 12,085 francs, par le
sieur Antoine Bonnefoy, qui céda ensuite tous ses
droits au sieur Joseph Guyon, propriétaire à Méou-
nes, demeurant à Marseille.
Trente ans après cette vente , Guyon possédait
encore ces marbres et en était fort embarrassé, lors-
qu'on vint lui proposer de les céder à la « Société
religieuse » , qui avait entrepris la restauration de la
Sainte-Baume. Il y consentit , et c'est ainsi que les
statues provenant du mausolée du Comte de Valbelle
reçurent différentes affectations. Nous trouvons dans
une lettre adressée au préfet des Bouches-du-Rhône
par M. Chevalier , préfet du Var , le 30 juillet 1822 ,
des renseignements précis sur cette acquisition.
« Tous les marbres et objets d'art, écrivait-il , qui
décoraient l'église et la chapelle de l'abbaye de Mon-
trieux , se dégradaient sous des voûtes tombant en
ruines , et étaient depuis plusieurs années exposés à
de MoDtrieux, commune de M«5ûuues. Registre, fol. 60.
— 51 —
toutes les rigueurs du temps. L'acquéreur était sur
le point de vendre tous ces objets, lorsqu'un membre
du Conseil général , M. Raynouard , à qui j'avais fait
part du désir d'employer ces marbres à la restaura-
tion de la Sainte-Baume, me prévint que, si je voulais,
il terminerait ce marché en mon nom. Je lui répondis
que je n^étais point autorisé â faire cette acquisition,
mais que l'entrepreneur des travaux de la Sainte-
Baume consentait à acheter, pour son compte , tous
les marbres provenant de l'église de Montrieux ».
L'entrepreneur avait, en effet, acquis ces marbres,
ainsi qu'il le déclara dans l'acte que nous transcri-
vons ci-après :
« Je soussigné déclare avoir reçu des fonds appar-
tenant à la caisse de la Sainte-Baume , la somme de
4,662francs, pour le montant du prix des marbres de
la chapelle de Montrieux, que j'avais achetés du sieur
Guyon, pour le compte de ladite Sainte-Baume , y
compris les frais de démolition elle transport de ces
mêmes marbres jusqu'à Draguignan. Dont quittance.
Draguignan, 18 janvier 1822. Signé : Folety ».
Le préfet du Var acquit , le lendemain de ce jour ,
les statues comprises dans ce marché et en détermina
— 52 —
l'affectation par un arrêté, en ddte du 29 janvier 1822:
« Nous préfet, etc., considérant que S. E. le Mi-
nistre de l'Intérieur nous a autorisé à faire l'acquisi-
tion de divers objets d'art dont l'inventaire a été
dressé ; que les quatre statues qui y sont comprises
ayant été restaurées d'après mes ordres , pour être
envoyées ensuite dans les divers arrondissements, il
convient de procéder à la répartition.
« Arrêtons ; les quatre statues dont s'agit sont ré-
parties ainsi qu'il suit, savoir :
« La première, représentant la Provence, est don-
née à la ville de Toulon , pour être placée dans le
vestibule de son hôtel.
« La deuxième , dite de la Madeleine ^ est donnée
à l'arrondissement de Brignoles , pour être placée à
la Sainte-Baume , commune de Nans.
« La troisième, dite /« /«s//ce, est donnée à la ville
de Draguignan , pour décorer le vestibule du palais
de justice qu'on y construit actuellement.
« La quatrième, dite la Vestale, est donnée à la
ville de Fréjus, pour orner la fontaine publique qui
doit y être construite.
« Le préfet : signé Chevalier ».
— 53 —
La Sainte-Monique des chartreux de Montrieux ,
transformée en Sainte Marie-Madeleine , fut envoyée
à la Sainte-Baume. Six mois après , on inaugurait ,
par une fête splendide, la restauration de ce saint pè-
lerinage, et une foule immense , venue de tous les
départements voisins ^ visitait la grotte de la Made-
leine, où venait d'être érigée la nouvelle statue.
C'était le 22 juillet 1822. Le lendemain, un reporter
facétieux du Mercure Marseillais , publiant dans ce
journal un compte rendu des fêtes , prétendit que le
pauvre peuple avait été étrangement abusé et qu'on
lui avait fait vénérer M"^ Clairon , la maîtresse du
Comte de Valbelle^ sous l'étiquette de la Madeleine
repentante.
Le préfet des Bouches-du-Rhône eut le tort d'atta-
cher trop d'importance à cette impertinente boutade
du jeune marseillais; il fit insérer une rectification
dans le Journal de Marseille, qui lui était dévoué , et
menaça de poursuites l'imprimeur du Mercure Mar-
seillais, où avait paru l'article incriminé.
Il n'en fallut pas davantage pour propager la lé-
gende inventée par le reporter de cette petite feuille
d'annonces. En 1828, l'auteur deVHermite Toulonnais
— 54 —
prenant la Clairon à son compte, déclara qu'elle avait
posé pour la statue qui ornait la fontaine de la rue
des Pucelles (1). (Ce rapprochement lui parut sans
doute des plus heureux).
Un peu plus tard , un romancier rempli d'imagina-
tion, publia, dans \e Mémorial d'Aix (du 1(3 avril
1854), un feuilleton des plus curieux sur le mausolée
du Comte de Valbelle. Il mettait en scène le noble
gentilhomme provençal, qui s'entendait avec le sculp-
teur Houdon , pour faire poser successivement M"®
Clairon , M"® Guimard , célèbre danseuse de Topera ,
une soubrette de la Comédie française et enfin une
demi-mondaine.
Cette fable a été recueillie par des écrivains sé-
rieux , qui ont pensé que l'auteur en avait puisé le
fond dans une tradition populaire digne de foi. M.
Rostan, l'auteur éruditet consciencieux de V Histoire
de Saint-Maximin; M. Maquan , le spirituel direc-
teur du journal V Union du Var, et vingt autres, ont
(1) La statue La Provence, après avoir figuré dans le vestibule de l'hôtel-
de-ville de Toulon , orna , en effet , une fontaine de la rue des Pucelles,
mais elle a été depuis quelque temps transportée dans le Musc; municipal.
\
— 55 —
fait mention , en la déplorant , de Torigine scanda-
leuse de la statue vénérée. Le père Lacordaire
lui-même , le grand orateur , le savant Dominicain ,
s'est laissé entraîner par cette idée qui Taffligeait^ et
dans une admirable brochure sur Sainte Marie-Ma-
deleine, publiée en 1860, il a cru devoir blâmer la
présence, dans ce lieu sanctifié, d'une pareille statue.
« Des marbres sans gloire , a-t-il dit , y forment
la chapelle de la Sainte , et derrière son autel, sur
cette roche mystérieuse où se passaient ses veilles
et ses extases , repose à demi couchée, une statue
profane , indigne au premier chef de la majesté du
lieu dont elle contriste tous les souvenirs ».
Cette tradition regrettable, qui a pesé pendant plus
de soixante ans sur le cœur des fidèles , ne tient pas
debout quand on remonte à son origine.
Nous venons de voir, en effet, que M^^® Clairon
était à Anspach depuis 10 ans, et Valbelle décédé
depuis cinq ou six ans , quand Fossaty, le sculpteur
marseillais, mit en place , après l'avoir achevé , le
mausolée du Comte. Il exécuta ce travail sous la
surveillance des chartreux, et d'après les indications
de M"*® la Marquise de Valbelle , la plus respectable
— 56 —
des mères, qui avait été chargée, par son fils, d'ériger
ce monument funéraire dans la chapelle même où
reposaient ses aïeux.
L'histoire est très simple; elle est prouvée surabon'
damment; la fable est absurde et ne repose que sur la
fantaisie d'un reporter et l'imagination d'un roman-
cier ; eh bien 1 parions que la fable survivra à la dé-
monstration si claire des événements que nous venons
de raconter I
Cependant le Comte de Valbelle était très aimé à
Tourves. De nombreuses anecdotes , transmises de
père en fils , et dont plusieurs ont été publiées, expli-
quent cette popularité qui a résisté aux attaques diri-
gées contre sa mémoire par la Clairon.
Parmi les traits de bonté qui ont acquis au Comte
de Valbelle cette juste popularité , il en est deux qui
sont caractéristiques et bien dans les mœurs de cette
époque.
Se promenant un jour dans ses terres , le Comte
rencontre un paysan , accablé d'années, qui portait
péniblement une charge de bois. « Mon ami , lui dit-
il, laissez là ce fardeau qui vous écrase , et recevez
cet argent pour y suppléer. » Le pauvre vieillard se
— 57 —
confond en remerciements, mais Valbelle l'inter-
rompt et ajoute en souriant : « Vous ne me devez
rien; c'est moi qui suis votre débiteur , puisque je
suis plus riche que vous ».
Plus tard, au moment ou il allaitquitter Paris pour
se rendre à Tourves, le duc de Villars, qui arrivait
de Provence, lui apprend que le feu a pris à son
château. Valbelle lui demande avec anxiété si ses
paysans ont été atteints dans leurs biens ou dans
leurs personnes. « Non, cher comte «répond le duc,
et aussitôt le comte de Valbelle, reprenant son beau
sang froid et sa sérénité , ajoute : « Eh bien ! nous
ferons rebâtir le château , ce sera une bonne aubaine
pour mes paysans et mes chers artistes ».
Mais ce qui témoigne plus éloquemment encore des
bons sentiments que le comte avait su inspirer au-
tour de lui , c'est le fait qui s'est produit à Toccasion
de la vente de ses biens pendant la Révolution.
M. Mathieu Barbaroux , notaire et ancien maire,
se rendit acquéreur du château de Tourves et des
deux parcs qui l'entouraient , moyennant la somme
de 183,000 livres payée avec des assignats (1).
(1) Acte de vente du 19 prairial an VI (7 juin 1798J.
— 58 —
La population ne vit pas sans regret un des enfants
du pays profiter des malheurs du temps, pour prendre
possession des dépouilles de la famille du comte de
Valbelle. M"^* et M"« Barbaroux se montrèrent très
sensibles aux allusions qu'on ne leur épargnait pas
sur les grands biens qu'ils avaient acquis à si peu
de frais. On dit même que M"^ Barbaroux en mourut
de chagrin. Cependant l'ancien maire conserva les
immeubles qu'une vente régulière lui avait fait obte-
nir, et sa femme lui succédant n'osa pas s'en des-
saisir. Mais , après la mort de M"^* Barbaroux, son
frère, M. François CoUin, exécutant sans doute ses
intentions , légua, par son testament, en date du 12
juin 1849, au représentant de cette famille , M. le
comte de Castellane, les ruines du château et divers
terrains en dépendant.
Et, par suite de cette restitution , M. d'Estourmel ,
petit fils par sa mère , du comte de Castellane , est
encore en possession des ruines de ce bel édifice,
qui fut pendant longtemps la résidence du plus fas-
tueux et du phis aimable des grands seigneurs de
l'ancien régime.
INVENTAIRE DES MEUBLES
DU
CHATEAU DE TOURVES.
Le château de Tourves, par ses vastes dimensions,
l'élégance et la richesse de ses installations , avait
Taspect d'une résidence royale (1). Cet édifice vrai-
ment grandiose n'occupait pas moins de 2500 mètres
de superficie; ses deux principales façades avaient
(1) € Le comte de Valbelle , dit M. Millin , n'avait rien épargné pour
embellir ce lieu. Il y avait rassemblé une riche bibliothèque, des tableaux,
des statues ; la beauté des arbres , la longueur des allées , la grandeur du
château, tout donnait ^ cette demeure l'apparence d'une maison royale >.
(Voyages dans les départements du Midi de la France. Paris, 180S, tome
III, p. 130).
— 60 —
54 mètres de longueur sur 45. Une cour intérieure, de
30 mètres sur 25, répandait la lumière dans les ap-
partements qui n'étaient pas en façade (1). Un très
beau parc, traversé par des allées artistement décou-
pées , précédait le château , et , dans un fouillis de
verdure , apparaissaient, de distance en distance , des
statues en marbre dont quelques-unes avaient une
réelle valeur, si nous en jugeons par la Vénus Cal-
lipyge que l'on remarque dans le jardin public de
Draguignan, et qui provient des collections de M. de
Valbelle. Le château lui-même renfermait des objets
d'art et des tableaux en grand nombre; les chemi-
nées^ en beau marbre coloré (2), rehaussaient l'ameu-
blement dont le luxe et le bon goût nous sont connus
(1) Nous avons sous les yeux le plan du cliâtoau, qui nous a clé coni-
munjiiué , avec divers autres documents prrcicux, par M. Revest, institu-
teur à Tourves.
(2) « Après avoir visité Saiiil-Maxiniin , nous suivinifs la grande route
de Draguignan. Les coteaux que l'on a|tcrcoit recèlent une grande quantilé
de marbres colorés ; Louis XiV les trouva si beaux qu'il ordonna de les
exploiter, et qu'on en transporta un grand nombre de blocs pour servir à
l'embellissement de Versailles et de Marly. On en a aussi fait usage pour
!a décoration du château et des jardins de Tourves. (Milmn Voyagra dans
Us dcparmcuts du Midi de la fiance, tome III, p. 130;.
— 61 —
par rinventairequi en fut dressé, en 1792, au moment
de la prise de possession du château par la Nation.
Nous relevons dans cet inventaire , que nous pu-
blions ci-après in extenso ^ une quantité de meubles
vraiment considérable : 40 couchettes avec leurs bal-
daquins et garnitures en très belle étoffe; 25 canapés
et 183 fauteuils , la plupart recouverts en tapisserie
des gobelins; 38 glaces , 14 lustres , 12 urnes , des
tapis magnifiques, 138 tableaux et près de 1,000 vo-
lumes, dont un grand nombre aux armes de Valbelle
et reliés par Derome.
Mathieu Barbaroux , maire de Tourves et Jean-
Henry Sivan , secrétaire et greffier de la commune,
agissant en vertu d'un arrêté du Directoire du district
de Saint-Maximin , se rendit, le 25 mai 1792, au châ-
teau de Tourves, possédé à cette date par le comte
Alphonse de Gastellane; et ayant appris du concierge
Claude Imbert, que M. de Gastellane était absent , ils
procédèrent , en présence des deux officiers munici-
paux, à la rédaction de l'inventaire du mobilier, dont
nous transcrivons ci-après les principaux articles.
Conciergerie. — Un bureau avec 16 tiroirs, bois de
noyer, avec ses ferrements.
— 62 —
Un râtelieripouv tenir les clefs de la maison.
Deux encoignures en bois de noyer.
Une table peinte en vert.
Un miroir, cadre doré, 2 pans sur 3.
Quatorze estampes , représentant des blasons, une
petite table , pieds de biche ^ avec son tiroir , une
chaise de commodité.
Salle d'audience. — Un fauteuil , garni en velours
cramoisi.
Huit tabourets garnis en peau.
Un tableau , cadre doré , représentant Cosme-
Maximilien de Valbelle.
Appartement de la chancellerie. — Tapisserie en
satin cramoisi.
Bureau avec ses tiroirs, marqueté, de sept pans
de long , écritoire , sablier et clochette.
Un autre bureau , pieds de biche , marqueté , un
buste de feu sieur Valbelle dessus.
Huit fauteuils peints en gris , garnis en soie, cra-
moisi et blanc.
Six grands tableaux , avec leurs cadres dorés.
Trois chaises garnies de sagne (paille).
Un petit chandelier en métal.
— 63 —
Une commode à deux tiroirs, avec son dessus de
marbre , un pot-à-eau et sa cuvette.
Deux chenets garnis en laiton.
Une pelle et une pincette , pommes en laiton.
Un miroir de 2 pans.
Une couchette peinte en gris , quatre matelas , un
oreiller , sa garniture de velours et satin cramoisi.
Deux rideaux de fenêtres blancs, en mousseline.
Appartement du premier. — Tapisserie à grands
personnages.
Une urne et deux ornements en rats sur la che-
minée en marbre.
Deux girandoles dorées.
Deux chenets surmontés de deux personnages
dorés, pelle et pincettes avec leurs pommes dorées.
Une grande table peinte en gris , avec son dessus
de marbre.
Un grand cabaret en tôle , doré et peint, avec 14
tasses à café en porcelaine, bord doré.
Un tric-trac d'ébène, garni en ivoire , avec ses
dames vertes et blanches^ cornet et dés.
Deux bougeoirs, en métal, pour servir au tric-trac.
Un damier d'ébène.
- 64 —
Vingt-et-un fauteuils peints en gris, garnis de ve-
lours ciselé rouge et jaune, dont deux à bras.
Une table couverte de drap vert.
Un lustre garni, en cuivre doré.
Quatre tableaux, dont trois au dessus des portes
et un sur la cheminée.
Appartement de â/"^^ de Valhelle. — Une commode,
fond noir, dorée et peinte. Dessus de marbre blanc.
Deux perroquets en faïence.
Un personnage nu en bronze, taille de 2 pieds 1/2.
Trois petits tableaux avec leurs cadres dorés,
dont deux ovales et un carré, surmonté du portrait de
M"*® de Sévigné, dans un grand cadre doré.
Une tapisserie de damas vert.
Un canapé et dix fauteuils , bois gris sculpté ,
garnis d'étoffe en laine fleurie.
Deux grands tableaux ovales, cadres dorés; neuf
tableaux moyens carrés aussi dorés.
Huit petits tableaux d'un pan , cadre doré.
Un écran garni en laine brodée.
Deux grands chenets , surmontés de deux sirènes,
en cuivre doré.
Deux pincettes et une pelle , avec pommes dorées.
— 65 —
Deux urnes dorées , surmontées d'un bouquet de
fleurs artificielles.
Deux girandoles en cuivre doré, à deux branches.
Deux chandeliers en cuivre doré.
Deux petits personnages en bronze noir.
Une glace en deux pièces, surmontée d'un tableau
carré.
Un lit à baldaquin, sa couchette peinte en gris ,
sculptée , garnie en vert, quatre matelas, des oreil-
lers, rideaux de damas vert.
Un trépied surmonté d'un cabaret.
Quatre rideaux de fenêtre, taffetas à carreaux verts
et blancs.
Deux dessus de porte en tableau carré.
Une petite table, pieds de biche, bois d'acajou,
dessus de marbre, bord de cuivre doré, cuvette et
pot-à-eau en porcelaine.
Cabinet au fond de la Chambre de Af™® de Val-
belle. — Un bureau marqueté, bois d'acajou, pieds de
biche, garniture en cuivre doré avec divers tiroirs.
Sept fauteuils à bras, garnis de laine brodée,
quatre autres fauteuils en soie mordorée , avec ca-
napé à trois places.
5
— 66 —
Un cabaret à trépied, dessus de marbre et le bord
en cuivre doré.
Quatre rideaux de fenêtre en taffetas cramoisi ,
vert, blanc et jaune, à grandes raies.
Tapisserie , papier de chine.
Une table avec dessus de marbre et cercle en
cuivre doré, guirlandes en dessous.
Un porte-vue de huit pans.
Une table carrée , bois d'acajou , pieds de biche.
Deux dessus de porte , représentant des personna-
ges turcs.
Sur la cheminée , une dormeuse en marbre blanc,
sur son piédestal noir.
Un miroir en deux pièces , de 5 pans sur 2, sur-
monté d'un tableau ovale, encadré dans le plaire, re-
présentant M'»^ de Valbelle.
Dans le cabinet attenant. — Un fauteuil en soie
moirée rose, et deux chaises à bras.
Une chaise et un fauteuil couverts de peau jaune.
Une table en bois blanc , servant de toilette et tous
les accessoires.
Une petite table en bois d'acajou.
Une table de nuit marquetée, dessus de marbre.
— 67 —
Une théière d'airain.
Salon de compagnie. — Un tapis , de vingt-quatre
pans sur trente-six , en laine de plusieurs couleurs.
Quatre pièces de tapisserie des Gobelins, à grands
personnages.
Deux commodes en bois d'acajou marquetées , à
trois tiroirs, pieds de biche, garniture en cuivre doré,
dessus de marbre de couleur et le bord blanc.
Deux urnes , aux extrémités dorées, avec chinois,
de trois pans de hauteur.
Une urne servant à brûler des parfums sur un pié-
destal de marbre gris , soutenu par trois pieds à têtes
de mouton, garniture en cuivre doré.
Une autre urne en plâtre , peinte en couleur de
marbre, sur trois pieds sculptés et dorés.
Six rideaux de fenêtre en taffetas à carreaux^
verts et blancs.
Deux canapés et quatorze fauteuils, étoffe des Go-
belins, représentant diverses fables.
Onze fauteuils, étoffe des Gobelins, vert et gris, un
à bras et deux autres garnis en velours blanc et
vert, peints en gris.
Un écran garni en étoffe de laine.
- 68 —
Quatre pincettes et deux pelles avec leurs pommes
dorées.
Deux chenets surmontés de deux urnes à tète de
mouton, en cuivre doré.
Sur la cheminée, une statue en bronze, représen-
tant Louis XIV à cheval, piédestal en marbre.
Deux urnes en porcelaine dorée et peinte, sur-
montées de fleurs artificielles.
Deux girandoles en cuivre doré, à trois branches.
Deux chandeliers en cuivre doré.
Un miroir en deux pièces, de douze pans sur quatre.
Deux coussins couverts en indienne.
Un tabouret garni en soie.
Une pendule, garniture dorée, d'un pan de circon-
férence.
Un lustre à six branches, garni de différentes piè-
ces en cristal.
Quatre dessus de porte en médaillon.
Appartement de il/"^« d\)raison. — Une couchette
peinte en gris , quatre matelas , deux oreillers , une
couverture en indienne, garniture en damas cramoisi,
bordée d'un galon en or , avec sa courte-pointe.
Quatre fauteuils bois blanc, sculptés, garnis en
velours à grandes raies noires et rouges.
— 69 —
Deux fauteuils garnis en velours cramoisi.
Quatre dessus de porte représentant des fruits.
Un miroir, cadre blanc, 3 pans sur 2.
Un tableau en glace peint à la chinoise et un des-
sus de cheminée.
Deux rideaux de fenêtre en taffetas cramoisi.
Deux chenets en laiton.
Pelle et pincettes, pommes dorées.
Une table avec dessus de marbre servant de bu-
reau , une cuvette et son pot-à-eau.
Un petit chandelier en laiton, sur la cheminée.
Un petit balai de crin pour le feu.
Appartement de M^^ Demandols . —
Quatre fauteuils, bois sculpté^ peints en gris et
garnis en laine brodée.
Deux fauteuils jaune , garnis en satin, bois gris.
Une couchette , quatre matelas dont deux de laine^
un de crin et un de plume, deux oreillers.
Une garniture de lit à baldaquin en satin jaune et
sa courte pointe.
Un rideau de fenêtre , en taffetas à carreaux ,
jaunes et bleux.
Deux tabourets de dix pans de long , garnis en
velours cramoisi et pieds dorés.
— 70 —
Un petit tabouret de trois pans de long.
Une paire de chenets garnis en laiton.
Une pelle , et des pincettes , avec leurs pommes
d'or, un soufflet et un balei en crin pour le feu.
Un chandelier de laiton.
Sur la cheminée en marbre un miroir , de 3 pans
1/2 sur 2 1/2 , surmonté d'un tableau représentant
M"^* de Demandols.
Deux dessus de porte représentant des fleurs.
Cabinet attenant. — Six chaises en agenouilloir
peintes en gris, garnies en velours cramoisi , avec
six coussins.
Un fauteuil rond , bois gris , garni en peau jaune.
Un matelas en crin , sur une couchette en bois
peint en gris.
Une couverture de Naples et une couverture pi-
quée.
Une table à quadrille avec son dessus de marbre,
gris et bord noir.
Un tableau , sans cadre, à personnages.
Un dessus de porte représentant du gibier.
Un tableau en carré.
Un rideau blanc bordé d'indienne, fond blanc.
— 71 —
La chapelle. — Un tapis en laine usé (1).
Salle à manger. — 22 chaises , bois blanc sculpté^
garnies de peau verte.
Huit tables de marbre , soutenues par des guirlan-
des en dessous.
Un lustre, deux flacons d^étain pour l'eau.
Six tableaux et quatre dessus de porte , avec leurs
cadres en plâtre.
Quatre rideaux de fenêtre, en laine, à carreaux
verts et blancs.
Une fontaine en marbre avec sa coquille.
Appartement de M^^ de Castellane. — Une couchette
bois peint en gris, quatre matelas, un oreiller.
Deux rideaux en indienne, fond blanc.
Six fauteuils sculptés , peints en gris et dorés ,
garnis en indienne.
Un fauteuil bois sculpté , peint et doré , garni de
damas vert.
Une table en bois peint en vert et doré , avec son
dessus de marbre jaunâtre.
(1) Voir, dans le cabinet précédent, les agenouilloirs. La chapelle était
fermée et démeublée depuis 1790.
— 72 —
Une cuvette et son pot-à-eau.
Un chandelier en laiton.
Un rideau de fenêtre blanc garni en indienne.
Un tableau ovale, représentant M'"^ de Valbelle-
Castellane.
Une couverture d'indienne et une blanche de Nea-
poly.
Un couvre pied indienne ^ doublé en soie.
Pas perdu. — Au premier pallier , servant de pas
perdu au Salon des Rois :
Une table , pieds de biche, avec son dessus en
marbre veiné couleur de chair.
Deux tableaux encadrés , représentant la vue du
château et de son parc.
Salon des Bois.
Tapisserie papier velouté vert.
Une table, pieds de biche, sculptée avec son dessus
de marbre veiné de différentes couleurs.
Un miroir sur la cheminée encadré dans le plâtre,
avec son cadre doré.
Un lustre en verre.
Six tableaux avec leurs cadres dorés , représen-
tant des paysages.
— 73 —
Six autres tableaux encadrés dans le plâtre, repré-
sentant l'un Henri IV, un autre Louis XIV , un autre
Louis XV, et les trois autres des Gupidons.
Un autre tableau forme ovale , représentant M"^^
de Pompadour.
Quinze tabourets et quatre fauteuils , le tout garni
en moquette verte , façon de damas.
Deux rideaux de fenêtre en laine, à carreaux verts
et blancs.
Appartement de Tkf"^" de Chavigny. — Une tapisse-
rie en laine représentant des batailles.
Table en bois marqueté, pieds dorés, et ayant au
dessous un ange aussi doré , sur laquelle est une
urne de marbre, couleur de chair.
Une couchette dans une alcôve tapissée d'un satin
velouté en différentes couleurs, deux rideaux, sous
pente et courte pointe assortis , quatre matelas et un
oreiller.
Dix fauteuils , bois sculpté , garnis du même satin
velouté.
Deux tabourets garnis en laine brodée.
Une table à quadrille avec un damier dessus.
Une chiffonnière avec un dessus en cuivre doré, à
trois tiroirs.
~- 74 —
Un trépied , dessus de marbre , servant à reposer
la lampe.
Une paire de chenets avec deux Cupidons dorés ,
deux pinces et une pelle avec leurs pommes dorées.
Un soufflet et un petit balais de crin.
Deux petites urnes sur la cheminée, avec leurs
bords et pieds dorés.
Deux girandoles dorées, à une branche.
Un miroir de cinq pans et demi sur trois pans
et demi ^ surmonté d'un tableau, représentant Ga-
brielle de Chavigny.
Un petit tableau représentant un enfant, cadre doré.
Quatre dessus de porte encadrés dans le plâtre.
Deux rideaux de fenêtre en taffetas vert et blanc.
Cabinet attenant. — Tapisserie en papier avec des
chinois.
Un bureau à deux étages , bois marqueté , dessus
en marbre blanc.
Un sopha à bouts ovales , bois sculpté , avec deux
coussins , garnis en satin fond rouge.
Quatre fauteuils garnis de même.
Deux encoignures en marbre, avec des guirlandes,
dessus en marbre , un petit pot-à-eau et sa cuvette ,
en porcelaine.
— 75 —
Quatre rideaux de fenêtre en mousseline brodée.
Autre cabinet attenant, — Tapisserie en papier gris.
Une table servant de toilette avec sa garniture en
mousseline brodée , et la pente en laine à carreaux.
Deux boites, un poudroir et un miroir de toilette
en noir.
Deux rideaux de fenêtre en indienne, fond blanc.
Un fauteuil bois gris, garni de peau jaune.
Deux fauteuils gris en bois sculptés, à jour.
Une table à cadrette en bois de noyer.
Un pot-â-eau et sa cuvette.
Un tambour avec papier bleu et blanc.
Appartement de Af™« de Simiane.—lJnG table, bois
sculpté, pieds de biche, dessus de n^rbre veiné.
Trois fauteuils , bois jaune sculpté , dont deux
garnis en laine brodée, façon des Gobelins^ et l'autre
velours gris brodé.
Un tableau avec divers personnages en noir.
Cabinet attenant. — Couchette, quatre matelas,
deux oreillers , deux rideaux blanc en mousseline,
deux pentes en indienne, fond blanc, ciel de lit à bal-
daquin et chevet.
Six fauteuils sculptés , peints en gris à jour , avec
coussins garnis en indienne^ à fond blanc.
— 76 —
Table en demi-lune, avec marbre^ et guirlandes par
dessous.
Pot-à-eau et cuvette à fleurs.
Deux chandeliers en métal.
Une glace à deux pièces, 6 pans 1/2 sur 3, surmon-
tée d'un tableau représentant il/ar^Meri7ec?e Valbelle.
Appartemeni de M^^ de Brancas. — Couchette ,
quatre matelas^ deux oreillers, alcôve, deux rideaux,
sous pente gros de Tours, broché fond blanc, ayant
au fond un tableau avec verre^ cadre doré, représen-
tant Sainte-Geneviève.
Six fauteuils , peints en vert_, sculptés , garnis en
velours, couleur de chair.
Deux rideaux dl fenêtre en taffetas.
Trois grands fauteuils , l'un garni en velours cou-
leur de chair, et les autres en étoffe des Gobelins.
Une commode marquetée, à dix petits tiroirs, avec
garniture en cuivre doré , dessus de marbre gris
veiné.
Table de nuit en bois d'érable, dessus de marbre.
Deux gros chenets à quatre pieds , pommes en
forme d'urnes, laiton doré.
Deux pincettes, pelle avec leurs pommes dorées.
— 77 —
Deux petites urnes dorées, ayant un cercle ovale en
vert , sur la cheminée de marbre.
Deux petits chandeliers en métal.
Un buste d'enfant, en marbre blanc, et son piédes-
tal noir.
Un miroir de six pans sur trois^ surmonté d'un ta-
bleau , représentant Gabrielle de Brancas , avec son
cadre en plâtre doré.
Tapisserie encadrée dans le plâtre, sur toile à
rhuile, fond gris.
Appartement de M^^ de Fahri. — Six fauteuils pe-
tits, jaunes, sculptés, garnis en étoffe des Gobelins.
Un fauteuil grand en rond , garni en laine brodée.
Couchette, quatre matelas, deux oreillers , alcôve
et deux rideaux de satin vert , avec rayures et fleurs
à fond blanc.
Un écran peint en petit jaune , garni de laine
brodée.
Deux chenets à quatre pieds, avec deux chiens de
laiton.
Commode marquetée, à dix petits tiroirs, ses bou-
tons en laiton , dessus de marbre.
Cheminée en marbre, et deux petits chandeliers en
métal.
— 78 —
Miroir en deux pièces , de cinq pans sur deux et
demi surmonté d'un tableau représentant Susanne de
Fabri.
Deux girandoles dorées , à deux branches, un bu-
reau marqueté , pieds de biche , garni en laiton.
Petit miroir avec son cadre doré, d'un pan sur
trois quarts.
Chiffonnière dorée, rouge, en fleurs.
Cinq petits tableaux encadrés dans le plâtre, re-
présentant des jeunes demoiselles.
Deux rideaux de fenêtres en taffetas , rayé vert ,
cramoisi et jaune.
Appartement de la poudrière. — Deux têtes à per-
ruque.
Quatre petites glaces de deux pans 1/2 sur un pan
3/4, avec tablette en marbre, chacune, par dessous et
deux autres tables en marbre un peu plus grandes.
Deux fontaines en plomb et cuvette.
Huit petites pièces, dites de Loge, pour le service,
meubles ordinaires.
Appartement de M^^^* de Vintimille. — Tapisserie
des Gobelins , à grands personnages.
Lit à la duchesse, avec sa couchette , quatre mate-
— 79 —
las, un oreiller , rideaux verts en laine , ciel de lit et
parement des Gobelins, doublés de satin vert.
Huit fauteuils , bras et pieds dorés , garnis de
satin vert broché , et un autre rouge , brodé en or ,
pieds et bras aussi dorés.
Commode faisant le demi rond, marquetée, garnie
en or , pieds dorés, dessus de marbre blanc , pot-à-
eau et cuvette en porcelaine.
Bureau à deux étages , bois d'acajou , pieds de
biche, garniture dorée.
Deux chenets avec deux petites urnes et deux cu-
pidons, cuivre doré.
Pincettes, pelles, pommes dorées, soufflet et balai.
Miroir, sur la cheminée en marbre, de cinq pans
sur deux et demi , surmonté d'un tableau carré , re-
présentant un paysage et deux personnages.
Deux girandoles , cuivre doré , à deux branches.
Deux chandeliers en métal.
Trois dessus de porte ovales et un tableau repré-
sentant Anne de Vintimille.
Deux rideaux en taffetas blanc et vert.
Appartement de M"^« de Cabre. — Tapisserie en
papier chinois.
— 80 —
Lit à baldaquin , sa couchette , quatre matelas ,
rideaux de damas vert et blanc.
Six fauteuils, lilas pâle, sculptés^ garnis de damas
vert et blanc.
Un autre fauteuil garni en laine brodé.
Commode à deux tiroirs, en bois d'acajou , mar-
queté , avec sa garniture en cuivre doré, pieds de
biche, dessus de marbre blanc, pot-à-eau, cuvette
en porcelaine.
Table ovale , servant de bureau , cercle doré, des-
sus de marbre.
Deux chenets avec leurs pommes de laiton, pelle et
pincettes, soufflet, petit balai en crin.
Miroir, au dessus de la cheminée en marbre, de
quatre pans sur deux , surmonté d'un tableau ovale ,
représentant Aimare de Cabre.
Deux bouquets artificiels servant de girandole.
Deux chandeliers en métal.
Deux rideaux en taffetas bleu et blanc, à carreaux.
Appartement de il/"^® Doria. — Tapisserie de da-
mas bleu et gris, lit à baldaquin, couchette, quatre
matelas, oreiller, deux rideaux gros de Naples à
carreaux , bleu et blanc.
I
— 81 —
Six fauteuils gris , sculptés, garnis en damas bleu
et gris.
Un fauteuil en velours de soie bleu et moucheté.
Une chiffonnière servant de bureau, marquetée ,
avec les cercles dorés , ainsi que les pieds, et dessus
de marbre.
Table en noir, dessus de marbre , pot-à-eau et cu-
vette.
Deux chenets à quatre pieds avec deux urnes
dorées.
Pincettes et pelles , avec pommes dorées , soufflet
et petit balais.
Cheminée en marbre , miroir par dessus , de cinq
pans sur deux, surmonté d'un tableau ovale repré-
sentant Marguerite Doria.
Deux dessus de porte représentant divers person-
nages.
Appartement de M^^ de Galléan.—L'û à baldaquin,
sa couchette sculptée , quatre matelas, rideaux verts
en taffetas et gros de Tours , brochés rose et argent.
Huit fauteuils peints en vert et gris , sculptés ,
garnis en laine brodée.
Bergère garnie en laine brodée.
6
— 82 —
Table peinte en vert et gris , bois sculpté, trophée
de musique au bas , dessus de marbre avec le bord
blanc ^ son pot-à-eau et cuvette en porcelaine, cra-
moisi et vert.
Table en bois noir, dessus de marbre.
Deux chenets , deux urnes argentées , deux pin-
cettes et pelles avec pommes argentées , soufflet et
balais.
Cheminée en marbre , par dessus un miroir de six
pans sur deux , surmonté d'un tableau ovale repré-
sentant Anne de Galléan.
Appartement de M. de Sainte-Tulle. — Tapisserie
en laine, à grands personnages.
Deux portières marquetées vertes.
Un canapé à quatre places gris , bois sculpté ,
garni de laine brodée.
Quatorze fauteuils garnis en moquette verte.
Deux tables, pieds de biche , bois sculpté, servant
de bibliothèques , ayant quinze gros volumes cha-
cune , y compris VEnci/clopédie , dessus en marbre
veiné, couleur de chair.
Quatre flambeaux.
Une table à jeu de quilles, bois rouge.
— 83 —
Un baromètre et un thermomètre , un réverbère.
Deux rideaux en taffetas vert.
Deux chenets , avec une figure , représentant une
femme et un homme en bronze.
Un buste en plâtre , du Maréchal de Saxe , sur la
cheminée de marbre , soutenue par quatre colonnes.
Trois tableaux représentant des paysages, avec
cadres dorés.
Un autre tableau représentant un sacrifice , cadre
doré.
Trois dessus de porte représentant des enfants.
Appartement attenant à celui de M. de Sainte- Tulle,
vis-à-vis la galerie. — Un lit à baldaquin, couchette
bleue , rideaux de damas tissu cramoisi et blanc ,
grands dessins , et sa courte pointe, quatre matelas,
deux oreillers avec deuxvisières , sur le ciel de lit,
dorées.
Tapisserie, mêmes nuances que le lit.
Seize fauteuils , bois bleu sculpté , garnis d'étoffe
des Gobelins en soie, dorés.
Une commode marquetée en fleurs avec garniture
dorée , pieds de biche dorés sur cuivre , dessus de
marbre veiné gris.
— 84 —
Ecran bleu et blanc sculpté , garni d'étoffe des
Gobelins en soie, avec deux médaillons y ayant deux
tourterelles.
Un bureau à trois étages, bois d'acajou marqueté ,
avec dessus en marbre.
Deux gros chenets avec des lions dorés , pelles et
pincettes, pommes dorées, soufflet et balais.
Deux piédestaux portant^ chacun, le buste d'un
enfant.
Une glace en deux pièces , sur la cheminée de
marbre, celle de dessus en demi rond de huit pans
sur quatre , avec cadre et couronnement surmonté
d'un tableau ovale^ représentant Gosme-Maximilien-
Louis de Valbelle.
Un tableau avec son cadre ovale, représentant M.
de Choiseul.
Quatre dessus de porte avec cadres dorés, repré-
sentant les quatre Saisons.
Deux tables, dessus de marbre, couleur de chair,
avec des guirlandes par dessous en bois.
Deux girandoles dorées à trois branches.
Deux flambeaux.
Cabinet attenant, où se trouve le linge de la maison,
comprenant :
— 85 —
Cent douzaines de serviettes de différents dessins.
Deux cents draps de lit.
Vingt douzaines de nappes.
Trente douzaines de torchons , trente douzaines de
tabliers de cuisine.
Plusieurs tables sur lesquelles le linge est déposé.
Vingt-cinq tableaux avec leurs cadres dorés , re-
présentant la famille « et des amis d'icelle ».
Deux petits tableaux , cadre doré en rond , quatre
rideaux de fenêtres en taffetas vert.
Onze cases, dont neuf remplies de livres et les au-
tres deux de divers instruments.
Appartement de domestique , attenant au cabinet ci-
devant.
Lit à baldaquin , un pliant, paillasse, matelas,
oreiller, rideaux jaunes.
Un placard en trois parties, dans l'une desquelles
sont des couvertures et les autres des couvertures
d'été et les Ornements de la chapelle.
Une petite table en bois blanc avec sa toile cirée,
deux chaises, un bougeoir de laiton.
Appartement de la galeine. — Buste de Michel
Nostradamus , sur la fenêtre, au fond.
— 86 —
Deux rideaux à chacune des six fenêtres, taffetas
jaune, citron et blanc, à carreaux.
Deux portes, ayant six glaces chacune.
Deux tables à quadrille , pieds de biche , en bois de
noyer, couverture verte en drap.
Une autre table à triangle couverte de drap vert.
Une autre à « cizagonne », garnie de velours vert
rayé , ayant un trou au milieu pour jeu.
Une autre de six pans sur trois , couverte de drap
vert.
Une autre , même longueur et largeur , pieds de
biche.
Trois autres grandes tables , le dessus de celle du
milieu en marbre fleuri avec un médaillon au milieu,
et les deux autres en marbre uni bleu, veiné , ayant
chacune des trophées à carquois. Sur deux de ces
tables sont deux urnes en porcelaine de la hauteur de
sept pans, avec leurs garnitures enguirlandées , do-
rées, terminées par une pomme de pin aussi dorée (1);
sur la table du milieu est une pendule sur son pié-
destal , de la hauteur de deux pans, avec deux chan-
(1) Ces deux grandes urnes jont actuellement au Musée de Draguignan.
1
— 87 —
deliers à quatre girandoles aussi de deux pans de
hauteur , le tout doré.
Une table ronde, bois de noyer, servant à jouer avec
une boule.
Un grand cabaret , servant pour les tasses , sur
son piédestal de quatre pans de haut , bois d'acajou.
Deux petits cabarets sur leurs piédestaux , ayant
leurs ronds ou cercles dorés, le dessus de marbre.
Un pupitre , en bois d'acajou.
Un dévidoir, en bois d'acajou.
Un métier à broder, bois rouge doré.
Deux grands canapés , de dix pans de long, avec
quatre coussins chacun , le tout garni en peau jaune.
Vingt-deux petites chaises, garnies en peau jaune.
Quatre tabourets, garnis en peau jaune.
Dix-huit fauteuils à bras , avec leurs dossiers, le
tout garni en peau jaune.
Six lustres à cinq faces , ayant chacun un lampion
à trois branches.
Un jeu de l'oie et un jeu de balle, bois d'acajou, de
deux pans sur un pan et quart.
Une statue marbre blanc, de trois pans et demi de
hauteur , représentant une femme nue , sur son pié-
destal en bois de noyer.
— 88 —
Vingt-quatre grands tableaux encadrés dans le
plâtre, à grands personnages, représentant des mem-
bres delà famille de Valbelle.
Sept tableaux aussi encadrés dans le plâtre, re-
présentant des blasons.
Quatre autres tableaux de sept pans sur cinq, re-
présentant divers combats, tant de terre que de mer.
Un autre représentant le plan de l'hôpital de Saint-
Omer.
Un buste sur la porte d'entrée.
En entrant, de chaque côté, est une étagère en
bois , remplie de gros volumes , à droite , au nombre
de dix-neuf et à gauche , de quatorze.
Sur la table de marbre des dites étagères, sont
des personnages représentant des « dieux marins »,
sur des piédestaux en cuivre doré.
Une petite chaise servant d'agenouilloir , garnie en
moquette bleue et blanche.
Un tabouret à trois places, moquette verte.
Appartement de la reine Jeanne, au troisième étage.
— Tapisserie en indienne , fond blanc , ramage bleu
et rouge, avec des oiseaux.
Deux rideaux en taffetas cramoisi.
— 89 —
Un lit , sa couchette , peinte en gris , quatre mate-
las , un oreiller, deux rideaux blancs de mousseline,
garnis d'indienne, assortissant la tapisserie.
Six chaises, garnies d'indienne avec leurs dossiers.
Cinq fauteuils à bras , dont deux garnis d'indienne
égale à celle des chaises , deux garnis avec leurs
coussins mouvants , par dessus en laine brodée et
l'autre garni en étoffe verte petits grains , bois doré,
coussin mouvant, ponceau , brodé en or.
Une bergère, garnie en indienne, rayée fond blanc,
en bois gris sculpté.
Chenets en fer avec leurs pommes.
Une glace, sur la cheminée de marbre, de trois pans
sur deux , surmontée d'uu tableau ovale, représen-
tant la reine Jeanne encadrée dans le plâtre.
Deux girandoles , avec une urne au milieu à deux
branches, en cuivre doré.
Deux petits chandeliers en métal.
Une commode garnie , dorée , fond noir à bombe-
ment, pieds de biche , cuivre doré avec des chinois
peints au bombement , dessus de marbre blanc , pot-
à-eau et cuvette en porcelaine bleue et blanche.
Chiffonnière en bois d'acajou, pieds de biche^ mar-
— 90 —
quetée, dessus de marbre blanc , cercle et garniture
en cuivre doré.
Trois dessus de porte^ peints en camaïeu.
Appartement de Henri IV. — Lit, couchette, quatre
matelas, garniture de lit filoselle jaune, un tableau
cadre doré, avec son oreiller, deux chenets.
Une glace sur la cheminée de marbre, de trois pans
sur quatre , surmontée d'un tableau représentant
Henri IV, avec cadre doré.
Une table , dessus de marbre, pot-à-eau en porce-
laine rose et blanche.
Quatre chaises à bras ., bois sculpté , garnies de
damas jaune.
Deux autres chaises couvertes en jaune.
Un fauteuil en damas jaune.
Cinq petits médaillons, dessus de porte de un pan,
des rideaux en mousseline.
Trois cabinets, et dans l'un un tableau représen-
tant Gabrielle d'Estrées.
Appartement de M'"° dWrzaqui. — Un lit à la du-
chesse, trois matelas^ un oreiller, rideaux en in-
dienne rougeàtre, tapisserie de même.
Glace , commode , table , deux grands fauteuils ,
quatre chaises, deux rideaux.
— 91 —
Appartement de M™« de Candolle. — Un lit à bal-
daquin^ couchette^ quatre matelas , oreiller , rideaux
d'indienne à flamme.
Une glace sur la cheminée ^ trois fauteuils , deux
chaises^ commode.
Un ex veto à l'image de la S*^-Vierge,
Appartement de M""^ Hue. — Mobilier relativement
modeste.
Deux cabinets.
Appartement de ikf^^» Renaud. -- Mobilier égale-
ment modeste.
Deux cabinets.
Gela fait , nous serions transportés dans la pyra-
mide, située dans le grand parc^ et y aurions trouvé:
Une momie, marbre blanc (sic), sur piédestal noir.
Laiterie. — Six tables en marbre blanc le long des
murs, six chaises.
Une urne en marbre , couleur de chair , son pié-
destal en pierre froide.
Deux trophées de guerre , en pierre brute.
Trois vases de faïence pour le lait.
Deux encoignures , dessus de marbre blanc
N'ayant plus rien à inventorier et pourvoyant à la
— 92 —
sûreté et séquestration des meubles et effets dudit
sieur de Gastellane, nous avons fait appeler le sieur
Louis-Thomas Sivan, son fermier général des terres
et droits de Tourves , et l'avons interpellé s'il con-
sentait à se charger de tous les dits meubles. Il a
déclaré se rapporter à l'inventaire , après lecture^ et
l'avons constitué séquestre.
Et de son consentement, toutes les clefs de la dite
maison et dépendances ont été laissées au pouvoir
de Claude Imbert, concierge.
L'inventaire des meubles du château , commencé
le 25 mai 1792, était terminé le 6 juin. La mise en
vente aux enchères publiques de ce beau mobilier ,
qui eut lieu l'année suivante , dura plus d'un mois ,
du 14 avril au 18 mai 1793; elle produisit 76,764
livres. Ce chiffre paraît bien minime si on considère
les sommes considérables que les Valbelle avaient
consacrées à l'ameublement de leur immense châ-
teau, ne comprenant pas moins de cinquante pièces.
Il est vrai que les tableaux de prix et les objets d'art
ne furent pas mis en vente; les commissaires délé-
gués les expédièrent à Saint-Maximin , où siégeait
— 93 —
le Directoire du district. Plus tard, on en fit la dis-
tribution entre les musées du département; celui de
Draguignan reçut en partage quelques tableaux (1),
deux beaux bronzes et quatre urnes en porcelaine
de Chine d'un grand prix (2).
Les meubles mis en vente furent presque tous
achetés par les habitants de Tourves; a peine vit-on
quelques étrangers, venus de Marseille, de Brignoles
ou de Saint-Maximin, en acquérir un certain nombre.
Un marchand marseillais, nommé Villard, acquit ,
au prix de 1,700 livres, une couchette avec sa garni-
ture en damas cramoisi, et poussa jusqu'à 700 livres
une pendule « d'un pan de circonférence». M. Sama-
tan eut, pour i,000 livres^ un magnifique bureau en
bois d'acajou marqueté; mais Louis Castellan ^ de
Tourves, ne se laissa pas enlever les superbes tentu-
(1) Parmi ces tableaux figure le portrait de Suzanne de Fabri, comtesse
de Valbelîe , dont il a été question dans le cours de cette étude (page 14);
charmante petite toile attribuée à Mignard.
(2) Ces urnes ont été l'objet des sollicitations de divers antiquaires; l'un
d'eux en offrit 100,000 francs ; mais il comprenait , dans ce riche lot ,
l'armure du XVI* siècle , qui a une très grande valeur et qui provient du
château de Vintimille du Luc.
— 94 —
res des Gobelins qu'il eut au prix de 2,015 livres ; il
eut également une pendule dorée « de trois quart de
pan de circonférence », à 325 livres. Probace Biscarre
paya 600 livres une autre belle pendule, montée sur
un piédestal de deux pans de hauteur. Lieutaud ,
d'Ollioules , se fit adjuger , moyennant 1,055 livres,
une couchette richement garnie, et Gasq (Emmanuel)
de Marseille , acquit , moyennant 605 livres, le tapis
de pied, de trente-six pans sur vingt-quatre, que nous
avons remarqué dans le salon de compagnie (1).
Tous les autres meubles restèrent aux habitants
de Tourves , qui en encombrèrent leurs maisons et
leurs bastides. On ne comprendrait pas les sacrifices
qu'ils s'imposèrent à cette occasion , si on oubliait
que les assignats , devenus la monnaie courante ,
perdaient déjà le 50 % et qu'il était avantageux, dans
ces circonstances , de les échanger contre des objets
d'une réelle valeur.
Parmi les plus ardents acquéreurs, je citerai Louis
Sivan , qui employa une forte somme à de nombreux
achats, n'hésitant pas à se charger de plus de meu-
(3) Voir ci-dessus, page 9.
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blés qu'il n'en faudrait pour garnir un hôtel : quatre
commodes , quatre canapés , quinze fauteuils , trois
couchettes, sept matelas dont trois en plumes , qua-
torze rideaux, douze chenets, et divers autres objets,
moyennant la somme totale de 5,561 livres.
François Sivan acheta une belle commode , fond
noir, dorée et ornée de peintures , au prix de 670
livres , et un bureau d^acajou , à deux étages^ avec
des ornements en cuivre doré. Victor Sivan, plus mo-
deste, acheta un prie-Dieu avec coussins en velours
cramoisi , moyennant quatorze livres. Chrétienne
Sivan eut douze serviettea et une nappe pour 76 li-
vres , et une commode marquetée à dix tiroirs , pour
150 livres. Louis-Augustin Sivan acheta six fauteuils,
une couchette garnie en satin vert et un grand fau-
teuil , au prix totdl de 530 livres. Madeleine Sivan
paya 200 livres une tapisserie en indienne , fond
blanc, avec des bouquets bleus , et deux rideaux de
fenêtre assortis.
Antoine Laugier acquit, moyennant 379 livres, deux
bureaux, dont un est devenu la propriété de M.Chail-
lan, propriétaire à Draguignan. Ce meuble est re-
marquable par la parfaite conservation du blason des
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Valbelle, incrusté en marqueterie sur la partie exté-
rieure de la tablette , ou « abattant »_, qui , en s'ou-
vrant, découvre trois rangées de tiroirs superposés.
Marie Banon, de Tourves, obtint, dans cette adju-
dication ^ si disputée, un très beau lit ainsi décrit :
« Couchette et tapisserie d'alcove, avec garniture de
lit et courte pointe en satin velouté en différentes cou-
leurs. » Elle resta maîtresse de l'enchère moyennant
la somme de mille quinze livres.
Nous n*en finirions pas si nous voulions énumérer
tous les meubles qui sortirent de ce vaste et somp-
tueux château, pour aller s'empiler dans les plus mo-
destes demeures de Tourves; beaucoup d'entre eux
sont encore possédés par les descendants des acqué-
reurs, mais un plus grand nombre a été acheté par
les antiquaires de Marseille et de Toulon.
Quand les derniers meubles eurent été enlevés , il
ne resta en place que les cheminées en très beau
marbre et quelques ornements adhérents aux murs.
La population voyant cet immense bâtiment aban-
donné , se crut autorisée à le détériorer, sous le pré-
texte d'effacer tous les vestiges de la féodalité ; les
I
- 97 —
armoiries furent effacées ou brisées (1). Les mar-
bres des cheminées richement sculptés parurent de
bonne prise ; l'administration municipale dut inter-
venir pour en empêcher le pillage (2).
De son côté , l'administration militaire ayant be-
soin , pour ses ateliers d'armes , de certains maté-
riaux , eut la singulière pensée de faire main basse
sur les ferrements du château. Le 8 octobre 1793, les
administrateurs du district , écrivaient aux officiers
municipaux de la commune de Tourves : «Nous vous
avons chargé de faire enlever tous les fers du parc,
des portes du parc et du jardin du ci-devant château,
de même que le plomb qui est sur la chapelle et sur
l'horloge ; nous comptons sur votre zèle pour nous
les adresser (3). »
Vers le 20 novembre de cette même année , une
(1) Une loi, du 14 ventôse an II (4mars 1794), devait plus tard légitimer
ces dévastations, en ordonnant la suppression de tous les signes féodaux.
(2) La vente des cheminées fut ordonnée plus tard, mais déjà on en avait
enlevé un grand nombre.
(3) Archives départementales. Correspondance du district de Saint-Maxi-
min.
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partie du château fut affectée à un hôpital militaire (1),
et pour installer des salles plus spacieuses , on fut
obligé de supprimer quelques portes et un certain
nombre de cheminées (2). La population profita de
cette circonstance pour dévaliser la partie du château
qui était restée sans emploi (3).
Cependant, l'administration militaire continuait à
(1) « En réponse k votre lettre du !«' frimaire an II , écrivait l'adminis-
trateur du district de Saint-Maximin à l'administration du département,
nous avons l'honneur de vous dire que le ci-devant château de Tourves a
été pris pour l'hôpital militaire depuis huit jours >. Cette iffectation fut
régularisée, le 25 messidor, par un ordre du citoyen Eyssautier, commis-
saire ordonnateur en chef de l'armée d'Italie.
(2) « 11 a été déplacé plusieurs cheminées en marbre et portes , en éta-
blissant l'hôpital militaire au ci-devant château de cette commune. Veuillez
bien en faire ou en ordonner la vente, pour que lesdites cheminées et portes
ne dépérissent pas; car il pourrait arriver qu'on cassât les cheminées qui
sont déposées dans un endroit peu sûr >. (Lettre du -.îl fructidor an II—
7 septembre 1"94— adressée à l'administrateur du district par la municipa-
lité de Tourves).
(3) Déjà , dans une lettre du 15 février 1794, le président du comité de
surveillance avait signalé « les dégâts et dommages en tous genres » qui
se commettaient dans la maison de l'cmigré Castellane : « On a enlevé .
disait-il , les serrures des portes, cassé les vitres et les glaces des fen ê
très ».
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occuper l'ancien château, qui tombait en ruines. Nous
lisons, en effet , dans un arrêté du 4 floréal an IV (23
avril 1796), que l'officier de santé en chef « attaché à
l'hospice militaire de Tourves » était désigné pour
constater l'état de santé des citoyens requis pour le
service. Mais , deux ans après , le 14 mars 1798, la
municipalité faisait procéder à l'estimation de l'im-
meuble qui devait être vendu aux enchères , et l'ex-
pert chargé de cette mission s'exprimait ainsi :
« Après avoir examiné l'état des bâtiments entière-
ment délabrés et dévastés , sans couverts ni portes
ni fenêtres ». Et le 7 juin suivant , lorsque Mathieu
Barbaroux s'en rendit acquéreur (1), le château s'é-
croulait de jour en jour. L^abandon, dans lequel il le
laissa , dut contribuer à la destruction presque com-
plète des constructions dont il ne reste aujourd'hui
que quelques pans de mur.
Cependant ces ruines , rehaussées par la magnifi-
que colonnade et l'obélisque restés debout, conser-
vent un aspect qui ne manque pas de grandeur. Mais
on ne peut se défendre d'un sentiment de tristesse ,
(1) Voir, ci-dessus, page 57.
— 100 —
en songeant que ce château fut, pendant de longues
années, le rendez-vous de la noblesse provençale et
des artistes de tous les pays , qui étaient accueillis
avec la plus aimable courtoisie par un Mécène ins-
truit et généreux , par un grand seigneur dont l'im-
mense fortune était répandue à pleines mains autour
de lui (1).
Aussi le comte de Valbelle fut-il unanimement re-
gretté. La municipalité de Tourves elle-même , avec
laquelle son agent d'affaires avait eu des procès (2),
témoigna ses sentiments sympathiques quand la nou-
velle de sa mort vint surprendre et affliger toute la
population. Le conseil communal vota à l'unanimité
un service solennel pour le repos de son âme : « Le
conseil, bien pénétré des sentiments d'affection à la
(1) Mirabeau dit dans une de ses lettres publiées par M. de Montignv,
que la société de Tourves était une cour d'amour, et ajoute que It comte
de Valbelle était assurément le plus opulent elle plus magnifique seigneur
de la |)rovince. [Lettre de Mirabeau à .V"" du Saillant, sa sffur, du 15 oc-
tobre 1789J.
(2) Il est vrai , qu'après avoir gagné un pro'^i'S injuste iiue la commune
lui avait intenté, le Comte de Valbelle voulut payer tous les frais de pro-
cédure, mis à la cliarge de la ville par l'arrêt du parlement qui l'avait cou-
damnée.
— 101 —
perte que la communauté a faite par la mort de son
seigneur, a unanimement délibéré que , pour donner
une faible marque de ses regrets y il sera fait le pre-
mier jour libre, dans la paroisse de ce lieu , un ser-
vice à la mémoire du dit seigneur comte de Valbelle,
et aussi solennellement que faire se pourra; auquel
service les dits sieurs maire et consuls et ceux du
conseil moderne assisteront » (1).
Plus tard , la marquise de Valbelle , revenant de
Paris , où elle s'était rendue pour exécuter les volon-
tés dernières de son fils, tomba malade, et la munici-
palité de Tourves^ qui s'était informée anxieusement
de l'état de sa santé , lui envoya, après son rétablis-
sement, une députation pour lui exprimer les vœux
de ses vassaux : « Le conseil ayant appris avec une
entière satisfaction l'arrivée et le rétablissement de
la santé de M"^® la marquise de Valbelle , a délibéré
de députer le sieur Bonis, maire , et le sieur Blain
consul , pour se porter à la ville d'Aix , aux fins de
se représenter devant la dite dame de Valbelle , pour
l'assurer , au nom de la communauté et au nom de
(i; Séance du conseil communal de Tourves , du 29 navembre 1778.
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ses vassaux de Tourves , de la part qu'ils ont prise
au rétablissement de sa santé qui est si chère à l'uni
versalité de ses dits vassaux, lesquels sont chargés
de la prier de vouloir bien continuer sa protection et
ses bontés pour cette communauté y qui ne cessera
jamais de faire pour elle des vœux ardents et sin-
cères ».
Tel était le Comte de Valbelle , telle était la Mar-
quise sa mère , ces dignes représentants de la bonne
et sympathique noblesse de Provence , ces grands
seigneurs de l'ancien régime qui étaient, assurément,
les meilleurs amis du peuple.
TABLE
Pages
Légende 1
Le château de Tourves 5
Testament du Comte de Valbelle 31
Le Mausolée 46
Le château restitué aux héritiers du Comte 58
Inventaire des meubles du château 59
Vente aux enchères publiques 93
Draguignan. — Imprimerie G. et A. LATIL.
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due